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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

grande ombre des rideaux du lit. Clorinde rentrait.

— Je m’en vais, dit-il. Je dîne ce soir chez notre homme. Me laissez-vous libre d’agir ?

Elle ne répondit pas. Elle revenait toute sombre, comme si elle avait fait de nouvelles réflexions dans l’escalier. Lui, tenait déjà la rampe. Mais elle le ramena, repoussa la porte. C’était son rêve qui s’en allait, un espoir mené si savamment, qu’une heure plus tôt, elle le croyait encore une certitude. Toute la brûlure d’une offense mortelle lui remontait aux joues. Il lui semblait qu’on l’avait souffletée.

— Alors, c’est sérieux ? demanda-t-elle, en se mettant à contre-jour pour qu’il ne remarquât pas la rougeur de son visage.

Et, quand il eut repris ses arguments pour la troisième fois, elle resta muette. Elle craignait, si elle discutait, de s’abandonner à la colère folle, dont elle entendait le craquement dans sa nuque. Elle avait peur de le battre. Puis, dans cet écroulement de la vie qu’elle s’était déjà arrangée, elle perdit la vue nette des choses, elle recula jusqu’à la porte de la chambre à coucher, sur le point d’entrer, d’attirer Rougon, en lui criant : « Tiens ! prends-moi, j’ai confiance, je ne serai ensuite ta femme que si tu veux. » Rougon, qui parlait toujours, comprit tout d’un coup ; il se tut, très-pâle. Et ils se regardèrent. Pendant un instant, ils eurent un léger tremblement d’hésitation. Lui, revoyait le lit, à côté, avec la grande ombre des rideaux. Elle, calculait déjà les conséquences de sa générosité. Ce ne fut, de part et d’autre, que l’abandon d’une minute.

— Vous voulez ce mariage ? dit-elle avec lenteur.

Il n’hésita pas, il répondit en haussant la voix :

— Oui.

— Eh bien ! faites.