jour à la légation d’Italie, où le chevalier Rusconi l’emmenait dans les coins, causant rapidement, à voix basse. Puis, c’étaient des courses incompréhensibles aux quatre coins de Paris, des visites faites furtivement à de hauts personnages, des rendez-vous donnés au fond de quartiers perdus. Tous les réfugiés vénitiens, les Brambilla, les Staderino, les Viscardi, la voyaient en secret, lui passaient des bouts de papier couverts de notes. Elle avait acheté une serviette de maroquin rouge, un portefeuille monumental à serrure d’acier, digne d’un ministre, dans lequel elle promenait un monde de dossiers. En voiture, elle le tenait sur ses genoux, comme un manchon ; partout où elle montait, elle l’emportait avec elle sous son bras, d’un geste familier ; même, à des heures matinales, on la rencontrait, à pied, le serrant des deux mains contre sa poitrine, les poignets meurtris. Bientôt le portefeuille se râpa, éclata aux coutures. Alors, elle le boucla avec des sangles. Et, dans ses robes voyantes à longue traîne, toujours chargée de ce sac de cuir informe que des liasses de papier crevaient, elle ressemblait à quelque avocat véreux courant les justices de paix pour gagner cent sous.
Plusieurs fois, Rougon avait tâché de connaître les grandes affaires de Clorinde. Un jour, étant resté un instant seul avec le fameux portefeuille, il ne s’était fait aucun scrupule de tirer à lui les lettres dont des coins passaient par les fentes. Mais ce qu’il apprenait d’une façon ou d’une autre lui paraissait si incohérent, si plein de trous, qu’il souriait des prétentions politiques de la jeune femme. Elle lui expliqua, une après-midi, d’un air tranquille, tout un vaste projet : elle était en train de travailler à une alliance entre l’Italie et la France, en vue d’une prochaine campagne contre l’Autriche. Rougon, un moment très-frappé, finit par hausser les épaules, de-