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LES ROUGON-MACQUART.

d’un martyr, lorsque Delestang courut lui offrir de le remplacer ; ce qu’il accepta d’un air poli, comme s’il cédait une place d’honneur. Et Delestang, attaquant la polka, se mit à tourner la manivelle. Mais c’était autre chose. Il n’avait pas le jeu souple, le tour de poignet facile et moëlleux du chambellan.

Rougon, pourtant, voulait obtenir un mot décisif de l’empereur. Celui-ci, très-séduit, lui demandait maintenant s’il ne comptait pas établir là-bas de vastes cités ouvrières ; il serait aisé d’accorder à chaque famille un bout de terrain, une petite concession d’eau, des outils ; et il promettait même de lui communiquer des plans, le projet d’une de ces cités qu’il avait jeté lui-même sur le papier, avec des maisons uniformes, où tous les besoins étaient prévus.

— Certainement, j’entre tout à fait dans les idées de Votre Majesté, répondit Rougon, que le socialisme nuageux du souverain impatientait. Nous ne pourrons rien faire sans elle… Ainsi, il faudra sans doute exproprier certaines communes. L’utilité publique devra être déclarée. Enfin, j’aurai à m’occuper de la formation d’une société… Un mot de votre Majesté est nécessaire…

L’œil de l’empereur s’éteignit. Il continuait à hocher la tête. Puis, sourdement, d’une voix à peine distincte, il répéta :

— Nous verrons… nous en causerons…

Et il s’éloigna, traversant de sa marche alourdie la figure d’un quadrille. Rougon fit bonne contenance, comme s’il avait eu la certitude d’une réponse favorable. Clorinde était radieuse. Peu à peu, parmi les hommes graves qui ne dansaient pas, la nouvelle courut que Rougon quittait Paris, qu’il allait se mettre à la tête d’une grande entreprise, dans le Midi. Alors, on vint le féliciter. On lui souriait d’un bout de la galerie à l’autre.