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LES ROUGON-MACQUART.

Et elle visita l’appartement. Il se composait d’une antichambre, dans laquelle se trouvait, à droite, la porte d’un cabinet de domestique ; au fond, était la chambre à coucher, une vaste pièce tendue d’une cretonne écrue à grosses fleurs rouges, avec un grand lit d’acajou carré et une immense cheminée, où flambaient des troncs d’arbre.

— Parbleu ! criait Rougon, il fallait réclamer ! Moi, je n’aurais pas accepté un appartement sur la cour ! Ah ! si l’on courbe l’échine !… Je l’ai dit hier soir à Delestang.

La jeune femme haussa les épaules, en murmurant :

— Lui ! il tolérerait qu’on me logeât dans les greniers !

Elle voulut voir jusqu’au cabinet de toilette, dont toute la garniture était en porcelaine de Sèvres, blanc et or, marquée du chiffre impérial. Puis, elle vint devant la fenêtre. Un léger cri de surprise et d’admiration lui échappa. En face d’elle, à des lieues, la forêt de Compiègne emplissait l’horizon de la mer roulante de ses hautes futaies ; des cimes monstrueuses moutonnaient, se perdaient dans un balancement ralenti de houle ; et, sous le soleil blond de cette matinée d’octobre, c’étaient des mares d’or, des mares de pourpre, une richesse de manteau galonné traînant d’un bord du ciel à l’autre.

— Voyons, déjeunons, dit Clorinde.

Ils débarrassèrent une table, sur laquelle se trouvaient un encrier et un buvard. Ils trouvaient piquant de se passer de leurs domestiques. La jeune femme, très-rieuse, répétait qu’il lui avait semblé le matin se réveiller à l’auberge, une auberge tenue par un prince, au bout d’un long voyage fait en rêve. Ce déjeuner de hasard, sur des plateaux d’argent, la ravissait comme une aventure qui lui serait arrivée dans quelque pays inconnu, tout là-bas, disait-elle. Cependant, Delestang s’émerveil-