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LES ROUGON-MACQUART.

vés par un élan d’enthousiasme. Puis, les urnes circulèrent, des huissiers passèrent entre les bancs, recueillant les votes dans les boîtes de zinc. Le crédit de quatre cent mille francs était accordé à l’unanimité de deux cent trente-neuf voix.

— Voilà de la bonne besogne, dit naïvement M. Béjuin, qui se mit à rire ensuite, croyant avoir lâché un mot spirituel.

— Il est trois heures passées, moi je file, murmura M. La Rouquette, en passant devant M. Kahn.

La salle se vidait. Des députés, doucement, gagnaient les portes, semblaient disparaître dans les murs. L’ordre du jour appelait des lois d’intérêt local. Bientôt, il n’y eut plus, sur les bancs, que les membres de bonne volonté, ceux qui n’avaient sans doute ce jour-là aucune affaire au dehors ; ils continuèrent leur somme interrompu, ils reprirent leur causerie au point où ils l’avaient laissée ; et la séance s’acheva, ainsi qu’elle avait commencé, au milieu d’une tranquille indifférence. Même le brouhaha tombait peu à peu, comme si le Corps législatif se fût complètement endormi, dans un coin de Paris muet.

— Dites donc, Béjuin, demanda M. Kahn, tâchez à la sortie de faire causer Delestang. Il est venu avec Rougon, il doit savoir quelque chose.

— Tiens ! vous avez raison, c’est Delestang, murmura M. Béjuin, en regardant le conseiller d’État assis à la gauche de Rougon. Je ne les reconnais jamais, avec ces diables d’uniformes.

— Moi, je ne m’en vais pas, pour pincer notre grand homme, ajouta M. Kahn. Il faut que nous sachions.

Le président mettait aux voix un défilé interminable de projets de loi, que l’on votait par assis et levé. Les députés, machinalement, se levaient, se rasseyaient, sans cesser de causer, sans même cesser de dormir.