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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Rougon, sans savoir au juste pourquoi. La bande, dix à douze personnes, tenait la ville.

— Nous sommes le gouvernement de demain, disait sérieusement Du Poizat.

Il établissait des parallèles entre eux et les hommes qui avaient fait le second empire. Il ajoutait :

— Je serai le Marsy de Rougon.

Un prétendant n’était qu’un nom. Il fallait une bande pour faire un gouvernement. Vingt gaillards qui ont de gros appétits sont plus forts qu’un principe ; et quand ils peuvent mettre avec eux le prétexte d’un principe, ils deviennent invincibles. Lui, battait le pavé, allait dans les journaux, où il fumait des cigares, en minant sourdement M. de Marsy ; il savait toujours des histoires délicates sur son compte ; il l’accusait d’ingratitude et d’égoïsme. Puis, lorsqu’il avait amené le nom de Rougon, il laissait échapper des demi-mots, élargissant des horizons extraordinaires de vagues promesses : celui-là, s’il pouvait seulement ouvrir les mains un jour, ferait tomber sur tout le monde une pluie de récompenses, de cadeaux, de subventions. Il entretenait ainsi la presse de renseignements, de citations, d’anecdotes, qui occupaient continuellement le public de la personnalité du grand homme ; deux petites feuilles publièrent le récit d’une visite à l’hôtel de la rue Marbeuf ; d’autres parlèrent du fameux ouvrage sur la constitution anglaise et la constitution de 52. La popularité semblait venir, après un silence hostile de deux années ; un sourd murmure d’éloges montait. Et Du Poizat se livrait à d’autres besognes, des maquignonnages inavouables, l’achat de certains appuis, un jeu de Bourse passionné sur l’entrée plus ou moins sûre de Rougon au ministère.

— Ne songeons qu’à lui, répétait-il souvent, avec cette liberté de parole qui gênait les hommes gourmés de la bande. Plus tard, il songera à nous.