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LES ROUGON-MACQUART.

jusqu’à deux fois par jour chez le chevalier Rusconi, pour y rencontrer des diplomates. Souvent, maintenant, dans cette campagne si étrangement conduite, elle semblait se souvenir de sa beauté. Alors, certaines après-midi, elle sortait débarbouillée, peignée, superbe. Et, quand ses amis, surpris eux-mêmes, lui disaient qu’elle était belle :

— Il le faut bien ! répondait-elle, avec un singulier air de lassitude résignée.

Elle se gardait comme un argument irrésistible. Pour elle, se donner ne tirait pas à conséquence. Elle y mettait si peu de plaisir, que cela devenait une affaire pareille aux autres, un peu plus ennuyeuse peut-être. Lorsqu’elle était revenue de Compiègne, Du Poizat, qui connaissait l’aventure de la chasse à courre, avait voulu savoir dans quels termes elle restait avec M. de Marsy. Vaguement, il songeait à trahir Rougon pour le comte, si Clorinde arrivait à être la maîtresse toute-puissante de ce dernier. Mais elle s’était presque fâchée, en niant énergiquement toute l’histoire. Il la jugeait donc bien sotte, pour la soupçonner d’une liaison semblable ? Et, oubliant son démenti, elle avait laissé entendre qu’elle ne reverrait même pas M. de Marsy. Autrefois encore, elle aurait pu rêver de l’épouser. Jamais un homme d’esprit, selon elle, ne travaillait sérieusement à la fortune d’une maîtresse. D’ailleurs, elle mûrissait un autre plan.

— Voyez-vous, disait-elle parfois, il y a souvent plusieurs façons d’arriver où l’on veut ; mais, de toutes ces façons, il n’y en a jamais qu’une qui fasse plaisir… Moi, j’ai des choses à contenter.

Elle couvait toujours Rougon des yeux, elle le voulait grand, comme si elle eût rêvé de l’engraisser de puissance, pour quelque régal futur. Elle gardait sa soumission de disciple, se mettait dans son ombre avec une