s’abandonnant mollement aux cahots, murmurant :
— Ah ! non, on ne flanque pas les gens à la porte comme ça, sans réfléchir… Je voulais avoir votre avis, d’ailleurs. Moi, je l’avoue, j’ai envie d’accepter.
— Jamais, Kahn ! cria Rougon furieux. Jamais !
Et ils discutèrent. M. Kahn donnait des chiffres ; sans doute un pot-de-vin d’un million était énorme ; mais il prouvait qu’on boucherait aisément ce trou, à l’aide de certaines opérations. Rougon n’écoutait pas, refusait d’entendre, de la main. Lui, se moquait de l’argent. Il ne voulait pas que Marsy empochât un million, parce que laisser donner ce million, c’était avouer son impuissance, se reconnaître vaincu, estimer l’influence de son rival à un prix exorbitant, qui la grandissait encore en face de la sienne.
— Vous voyez bien qu’il se fatigue, dit-il. Il met les pouces… Attendez encore. Nous aurons la concession pour rien.
Et il ajouta d’un ton presque menaçant :
— Nous nous fâcherions, je vous en préviens. Je ne peux pas permettre qu’un de mes amis soit rançonné de cette façon.
Il se fit un silence. Le fiacre montait les Champs-Élysées. Les deux hommes, songeurs, semblaient compter attentivement les arbres, dans les contre-allées. Ce fut M. Kahn qui reprit le premier, à demi-voix :
— Écoutez, moi je ne demanderais pas mieux, je voudrais rester avec vous ; mais avouez que depuis bientôt deux ans…
Il n’acheva pas, il tourna autrement sa phrase.
— Enfin, ce n’est pas votre faute, vous avez les mains liées en ce moment… Donnons le million, croyez-moi.
— Jamais ! répéta Rougon avec force. Dans quinze jours, vous aurez votre concession, entendez-vous !