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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Puis, sa curiosité réveillée, il alla chercher la carte de Gilquin. Il relut à plusieurs reprises : « C’est pressé, une drôle d’affaire », sans en apprendre davantage. Quand M. Bouchard et le colonel arrivèrent, il glissa la carte dans sa poche, troublé, irrité par cette phrase, qui se plantait de nouveau dans sa cervelle.

Le dîner fut très simple. M. Bouchard était garçon depuis deux jours, sa femme ayant dû partir auprès d’une tante malade, dont elle parlait d’ailleurs pour la première fois. Quant au colonel, qui trouvait toujours son couvert mis chez Rougon, il avait amené ce soir-là son fils Auguste, alors en congé. Madame Rougon fit les honneurs de la table, avec sa bonne grâce silencieuse. Le service s’opérait sous ses yeux, lentement, minutieusement, sans qu’on entendît le moindre bruit de vaisselle. On causa des études dans les lycées. Le chef de bureau cita des vers d’Horace, rappela les prix qu’il avait remportés aux concours généraux, vers 1813. Le colonel aurait voulu une discipline plus militaire ; et il dit pourquoi Auguste s’était fait refuser au baccalauréat, en novembre : l’enfant avait une intelligence si vive, qu’il allait toujours au delà des questions des professeurs, ce qui mécontentait ces messieurs. Pendant que son père expliquait ainsi son échec, Auguste mangeait un blanc de volaille, avec un sourire en dessous de cancre réjoui.

Au dessert, un coup de sonnette, dans le vestibule, parut émotionner Rougon jusque-là distrait. Il crut que c’était Gilquin, il leva vivement les yeux vers la porte, pliant déjà machinalement sa serviette, en attendant d’être prévenu. Mais ce fut Du Poizat qui entra. L’ancien sous-préfet s’assit à deux pas de la table, en familier de la maison. Il venait souvent le soir, de bonne heure, tout de suite après son repas, qu’il prenait dans une petite pension du faubourg Saint-Honoré.