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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

haussa les épaules ; vingt fois on lui avait dénoncé des complots. Mais l’ancien commis voyageur précisait.

— Tu m’as dit de venir te répéter les cancans du quartier. Moi, je veux bien te rendre service, je te répète tout, n’est-ce pas ? Tu as tort de branler la tête… Crois-tu que si j’étais allé à la préfecture, on ne m’aurait pas lâché un joli pourboire ? Seulement, j’aime mieux en faire profiter un ami. Entends-tu, c’est sérieux ! Va conter la chose à l’empereur, qui t’embrassera, parbleu !

Depuis trois jours, il surveillait les jolis messieurs, comme il les nommait. Dans la journée, il en venait deux autres, un jeune et un d’âge mûr, très-beau, avec une face pâle, de longs cheveux noirs, qui semblait être le chef. Tout ce monde-là rentrait éreinté, discutait à mots couverts, brièvement. La veille, il les avait vus charger des « petites machines » en fer, qu’il croyait être des bombes. Il s’était fait donner la clef d’Eulalie ; il restait dans la chambre, sans souliers, l’oreille tendue. Et, dès neuf heures, le soir, il s’arrangeait de façon à ce qu’Eulalie ronflât, pour tranquilliser les voisins. Selon lui, il ne fallait jamais mettre les femmes dans les affaires politiques.

À mesure que Gilquin parlait, Rougon devenait grave. Il croyait. Sous la légère ivresse de l’ancien commis voyageur, au milieu des détails étranges dont le récit se trouvait coupé, il sentait une vérité se dégager et s’imposer. Puis, toute son attente de la journée, sa curiosité anxieuse, le frappaient maintenant comme un pressentiment. Et il était repris par ce tremblement intérieur qui le tenait depuis le matin, une émotion involontaire d’homme fort dont le sort va se jouer sur un coup de carte.

— Des imbéciles qui doivent avoir toute la préfecture