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LES ROUGON-MACQUART.

se perdaient dans l’ombre des rues voisines. Mais le flamboiement des six fenêtres du grand salon éclairait toujours la place de la lueur vive du plein jour ; l’orchestre avait des voix de cuivre plus retentissantes ; les dames, dont on voyait les épaules nues passer dans l’entre-bâillement des rideaux, balançaient leurs chignons, frisés à la mode de Paris. Gilquin, au moment où l’on montait le notaire à une chambre du premier étage, aperçut, en levant la tête, madame Correur et mademoiselle Herminie Billecoq, qui n’avaient pas quitté leur fenêtre. Elles étaient là, roulant leur cou, échauffées par les fumées de la fête. Madame Correur, cependant, avait dû voir arriver son frère, car elle se penchait, au risque de tomber. Sur un signe véhément qu’elle lui fit, Gilquin monta.

Et plus tard, vers minuit, le bal de la préfecture atteignait tout son éclat. On venait d’ouvrir les portes de la salle à manger, où un souper froid était servi. Les dames, très-rouges, s’éventaient, mangeaient debout, avec des rires. D’autres continuaient à danser, ne voulant pas perdre un quadrille, se contentant des verres de sirop que des messieurs leur apportaient. Une poussière lumineuse flottait, comme envolée des chevelures, des jupes et des bras cerclés d’or, qui battaient l’air. Il y avait trop d’or, trop de musique et trop de chaleur. Rougon, suffoquant, se hâta de sortir, sur un appel discret de Du Poizat.

À côté du grand salon, dans la pièce où il les avait déjà vues la veille, madame Correur et mademoiselle Herminie Billecoq l’attendaient, en pleurant toutes deux à gros sanglots.

— Mon pauvre frère, mon pauvre Martineau ! balbutia madame Correur, qui étouffait ses larmes dans son mouchoir. Ah ! je le sentais, vous ne pouviez pas le sauver… Mon Dieu ! pourquoi ne l’avez-vous pas sauvé ?