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LES ROUGON-MACQUART.

épaules ! Tant qu’ils n’auront pas ma peau, ils ne se déclareront pas satisfaits.

Il se tut, puis il reprit en riant avec bonhomie :

— Bah ! s’ils en avaient absolument besoin, je la leur donnerais bien encore… Quand on a les mains ouvertes, il n’est plus possible de les refermer. Malgré tout le mal que mes amis disent de moi, je passe mes journées à solliciter pour eux une foule de faveurs.

Et, lui touchant le genou, la forçant à le regarder :

— Voyons, vous ! Je vais causer avec l’empereur ce matin… Vous n’avez rien à demander ?

— Non, merci, répondit-elle d’une voix sèche.

Comme il s’offrait toujours, elle se fâcha, elle l’accusa de leur reprocher les quelques services qu’il avait pu leur rendre, à son mari et à elle. Ce n’étaient pas eux qui lui pèseraient davantage. Elle termina, en disant :

— À présent, je fais mes commissions moi-même. Je suis assez grande fille, peut-être !

Cependant, la voiture venait de sortir du Bois. Elle traversait Boulogne, dans le tapage d’un convoi de grosses charrettes, le long de la Grande-Rue. Jusque-là, Delestang était resté au fond du landau, béat, les mains posées sur la serviette de maroquin, sans une parole, comme livré à quelque haute spéculation intellectuelle. Alors, il se pencha, il cria à Rougon, au milieu du bruit :

— Pensez-vous que Sa Majesté nous retienne à déjeuner ?

Rougon eut un geste d’ignorance. Il dit ensuite :

— On déjeune au palais, quand le conseil se prolonge.

Delestang rentra dans son coin, où il parut de nouveau en proie à une rêverie des plus graves. Mais il se pencha une seconde fois, pour poser cette question :

— Est-ce que le conseil sera très-chargé ce matin ?