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LES ROUGON-MACQUART.

— Il fait déjà chaud… Je viens de la rue Marbeuf, je croyais vous trouver encore chez vous.

Rougon ne répondant rien, il y eut un silence. Il froissait des papiers, les jetait dans une corbeille, qu’il avait attirée près de lui.

— J’ai à causer avec vous, reprit M. Kahn.

— Causez, causez, dit Rougon. Je vous écoute.

Mais le député sembla tout d’un coup s’apercevoir du désordre qui régnait dans la pièce.

— Que faites-vous donc ? demanda-t-il, avec une surprise parfaitement jouée. Vous changez de cabinet ?

La voix était si juste, que Delestang eut la complaisance de se déranger pour mettre un Moniteur sous les yeux de M. Kahn.

— Ah ! mon Dieu ! cria ce dernier, dès qu’il eut jeté un regard sur le journal. Je croyais la chose arrangée d’hier soir. C’est un vrai coup de foudre… Mon cher ami…

Il s’était levé, il serrait les mains de Rougon. Celui-ci se taisait, en le regardant ; sur sa grosse face, deux grands plis moqueurs coupaient les coins des lèvres. Et, comme Du Poizat prenait des airs indifférents, il les soupçonna de s’être vus le matin ; d’autant plus que M. Kahn avait négligé de paraître étonné en apercevant le sous-préfet. L’un devait être venu au Conseil d’État, tandis que l’autre courait rue Marbeuf. De cette façon, ils étaient certains de ne pas le manquer.

— Alors, vous aviez quelque chose à me dire ? reprit Rougon, de son air paisible.

— Ne parlons plus de ça, mon cher ami ! s’écria le député. Vous avez assez de tracas. Je n’irai bien sûr pas, dans un jour pareil, vous tourmenter encore avec mes misères.

— Non, ne vous gênez pas, dites toujours.