Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


XII


Clorinde était alors dans un épanouissement d’étrangeté et de puissance. Elle restait la grande fille excentrique qui battait Paris sur un cheval de louage pour conquérir un mari, mais la grande fille devenue femme, le buste élargi, les reins solides, accomplissant posément les actes les plus extraordinaires, ayant réalisé son rêve longtemps caressé d’être une force. Ses interminables courses au fond de quartiers perdus, ses correspondances inondant de lettres les quatre coins de la France et de l’Italie, son continuel frottement aux personnages politiques dans l’intimité desquels elle se glissait, toute cette agitation désordonnée, pleine de trous, sans but logique, avait fini par aboutir à une influence réelle, indiscutable. Elle lâchait encore des choses énormes, des projets fous, des espoirs extravagants, lorsqu’elle causait sérieusement ; elle promenait toujours son vaste portefeuille crevé, rattaché avec des ficelles, le portait entre ses bras comme un poupon, d’une façon si convaincue, que les passants souriaient, à la voir ainsi passer en longues jupes sales. Pourtant, on la consultait, on la craignait même. Personne n’aurait pu dire au juste d’où elle tirait son pouvoir ; il y avait là des sources lointaines, multiples, disparues, auxquelles il était bien difficile de remonter.