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LES ROUGON-MACQUART.

campait comme un général. Un jour, prise d’une indisposition, elle était montée tranquillement se coucher sous les combles, dans la chambre du maître d’hôtel qui la servait, un grand garçon brun auquel elle permettait de l’embrasser. Le soir seulement, vers minuit, elle avait consenti à rentrer chez elle.

Delestang, malgré tout, était un homme heureux. Il paraissait ignorer les excentricités de sa femme. Elle le possédait maintenant tout entier et usait de lui à sa guise, sans qu’il se permît un murmure. Son tempérament le prédisposait à ce servage. Il se trouvait trop bien du secret abandon de sa volonté, pour jamais tenter une révolte. Dans l’intimité, c’était lui, le matin, les jours où elle avait consenti à le tolérer chez elle, qui lui rendait au lever de petits services, cherchait partout sous les meubles les bottines égarées et dépareillées, remuait le linge d’une armoire avant de trouver une chemise sans trous. Il lui suffisait de garder devant le monde son attitude d’homme souriant et supérieur. On le respectait presque, tant il parlait de sa femme d’un air de sérénité et de protection affectueuses.

Clorinde, devenue maîtresse toute-puissante, avait eu l’idée de faire revenir sa mère de Turin ; elle voulait désormais, disait-elle, que la comtesse Balbi passât auprès d’elle six mois chaque année. Ce fut alors une explosion subite de tendresse filiale. Elle bouleversa un étage de l’hôtel pour loger la vieille dame le plus près possible de son appartement. Même elle inventa une porte de communication qui allait de son cabinet de toilette dans la chambre à coucher de sa mère. En présence de Rougon surtout, elle étalait son affection avec une outrance italienne d’expressions caressantes. Comment s’était-elle jamais résignée à vivre si longtemps séparée de la comtesse, elle qui ne l’avait jamais quittée