Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/385

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
385
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

pour éviter de se prononcer aussi nettement. En somme, Rougon était toujours au ministère ; puis, à le quitter, il aurait fallu pouvoir s’appuyer sur une autre toute-puissance.

— Il n’y a pas que le gros homme, dit négligemment Clorinde.

Ils la regardaient, espérant un engagement plus formel. Mais elle eut un simple geste, comme pour leur demander un peu de patience. Cette promesse tacite d’un crédit tout neuf, dont les bienfaits pleuvraient sur eux, était au fond la grande raison de leur assiduité aux jeudis et aux dimanches de la jeune femme. Ils flairaient un prochain triomphe, dans cette chambre aux odeurs violentes. Croyant avoir usé Rougon à satisfaire leurs premiers rêves, ils attendaient l’avénement de quelque pouvoir jeune, qui contenterait leurs rêves nouveaux, extraordinairement multipliés et élargis.

Cependant, Clorinde s’était relevée sur ses coussins. Accoudée au bras de la causeuse, elle se pencha brusquement vers Pozzo, lui souffla dans le cou, avec des rires aigus, comme prise d’une folie heureuse. Quand elle était très-contente, elle avait de ces joies soudaines d’enfant. Pozzo, dont la main semblait s’être endormie sur la guitare, renversa la tête en montrant ses dents de bel Italien, et il frissonnait comme chatouillé par la caresse de ce souffle, tandis que la jeune femme riait plus haut, soufflait plus fort, pour lui faire demander grâce. Puis, après l’avoir querellé en italien, elle ajouta, en se tournant vers madame Correur :

— Il faut qu’il chante, n’est-ce pas ?… S’il chante, je ne soufflerai plus, je le laisserai tranquille… Il a fait une chanson bien jolie.

Alors, ils demandèrent tous la chanson. Pozzo se remit à gratter sa guitare ; et il chanta, les yeux sur