Aller au contenu

Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/390

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
390
LES ROUGON-MACQUART.

vers Clorinde, pour éviter les regards de M. d’Escorailles, qu’elle sentait fixés sur elle.

— Eh bien, continua le chef de division, vous ne savez pas de quelle façon le gros homme a accueilli ma demande ?… Il m’a regardé un bon moment en silence, de son air blessant, vous savez. Ensuite, il m’a carrément refusé la nomination. Et comme je revenais à la charge, il m’a dit, avec un sourire : « Monsieur Bouchard, n’insistez pas, vous me faites de la peine ; il y a des raisons graves… » Impossible d’en tirer autre chose. Il a bien vu que j’étais furieux, car il m’a prié de le rappeler au bon souvenir de ma femme… N’est-ce pas, Adèle ?

Madame Bouchard avait justement eu dans la soirée une explication fort vive avec M. d’Escorailles, au sujet de ce Georges Duchesne. Elle crut devoir dire, d’un ton d’humeur :

— Mon Dieu ! M. Duchesne attendra… Il n’est pas si intéressant !

Mais le mari s’entêtait.

— Non, non, il a mérité d’être sous-chef, il sera sous-chef ! Je perdrai plutôt mon nom… Moi, je veux qu’on soit juste !

On dut le calmer. Clorinde, distraite, tâchait d’entendre la conversation de M. Kahn et de M. La Rouquette, réfugiés au pied de son lit. Le premier expliquait sa situation à mots couverts. Sa grande entreprise du chemin de fer de Niort à Angers se trouvait en pleine déconfiture. Les actions avaient commencé par faire quatre-vingts francs de prime à la Bourse, avant qu’un seul coup de pioche fût donné. Embusqué derrière sa fameuse compagnie anglaise, M. Kahn s’était livré aux spéculations les plus imprudentes. Et, aujourd’hui, la faillite allait éclater, si quelque main puissante ne le ramassait dans sa chute.