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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.


— Hier, Béjuin était très-affecté, déclara à son tour M. Kahn ; Béjuin vous aime beaucoup. C’est un garçon un peu éteint, mais d’une grande solidité… Le petit La Rouquette lui-même m’a paru très-convenable. Il parle de vous en excellents termes.

Et la conversation continua sur les uns et sur les autres. Rougon, sans le moindre embarras, posait des questions, se faisait faire un rapport exact par le député, qui lui donna complaisamment les notes les plus précises sur l’attitude du Corps législatif à son égard.

— Cette après-midi, interrompit Du Poizat, qui souffrait de n’avoir aucun renseignement à fournir, je me promènerai dans Paris, et demain matin, au saut du lit, j’en aurai long à vous conter.

— À propos, s’écria M. Kahn en riant, j’oubliais de vous parler de Combelot !… Non, jamais je n’ai vu un homme plus gêné…

Mais il s’arrêta devant un clignement d’yeux de Rougon, qui lui montrait le dos de Delestang, en ce moment monté sur une chaise et occupé à débarrasser le dessus d’une bibliothèque où des journaux s’entassaient. M. de Combelot avait épousé une sœur de Delestang. Ce dernier, depuis la disgrâce de Rougon, souffrait un peu de sa parenté avec un chambellan ; aussi voulut-il montrer quelque crânerie. Il se tourna, il dit avec un sourire :

— Pourquoi ne continuez-vous pas ?… Combelot est un sot. Hein ? voilà le mot lâché !

Cette exécution aisée d’un beau-frère égaya beaucoup ces messieurs. Delestang, voyant son succès, poussa les choses jusqu’à se moquer de la barbe de Combelot, cette fameuse barbe noire, si célèbre parmi les dames. Puis, sans transition, il prononça gravement ces paroles, en jetant un paquet de journaux sur le tapis :

— Ce qui fait la tristesse des uns fait la joie des autres.