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LES ROUGON-MACQUART.

qu’à soixante-douze francs ; enfin le dernier, un cure-dent très-mince, que madame de Combelot annonça comme étant fendu, ne voulant pas tromper son monde, disait-elle, fut adjugé pour la somme de cent dix-sept francs à un vieux monsieur, très-allumé par l’entrain de la jeune femme, dont le corsage s’entr’ouvrait, à chacun de ses mouvements passionnés de commissaire-priseur.

— Il est fendu, messieurs, mais il peut encore servir… Nous disons cent huit !… cent dix, là-bas !… cent onze ! cent douze ! cent treize ! cent quatorze… Allons, cent quatorze ! Il vaut mieux que cela… Cent dix-sept ! cent dix-sept ! personne n’en veut plus ? Adjugé à cent dix-sept !

Et ce fut poursuivi par ces chiffres que Rougon quitta la salle. Sur la terrasse du bord de l’eau, il ralentit le pas. Un orage montait à l’horizon. En bas, la Seine, huileuse, d’un vert sale, coulait lourdement entre les quais blafards, où de grandes poussières s’envolaient. Dans le jardin, des bouffées d’air brûlant secouaient les arbres, dont les branches retombaient, alanguies, mortes, sans un frisson des feuilles. Rougon descendit sous les grands marronniers ; la nuit y était presque complète ; une humidité chaude suintait comme d’une voûte de cave. Il débouchait dans la grande allée, lorsqu’il aperçut, se carrant au milieu d’un banc, les Charbonnel, magnifiques, transformés, le mari en pantalon clair et en redingote pincée à la taille, la femme coiffée d’un chapeau à fleurs rouges, portant un mantelet léger sur une robe de soie lilas. À côté d’eux, à califourchon sur un bout du banc, un individu dépenaillé, sans linge, vêtu d’une ancienne veste de chasse lamentable, gesticulait, se rapprochait. C’était Gilquin. Il donnait des tapes à sa casquette de toile, qui s’échappait.

— Un tas de gueux ! criait-il. Est-ce que Théodore a