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LES ROUGON-MACQUART.


À ce moment, la porte s’ouvrit toute grande. Une voix disait en riant :

— Bien, bien, je vous excuserai, Merle… Je suis de la maison. Si vous m’empêchiez d’entrer par ici, je ferais le tour par la salle des séances, parbleu !

C’était M. d’Escorailles, que Rougon, depuis six mois, avait fait nommer auditeur au conseil d’État. Il amenait à son bras la jolie madame Bouchard, toute fraîche dans une toilette claire de printemps.

— Allons, bon ! des femmes, maintenant ! murmura Rougon.

Il ne quitta pas la cheminée tout de suite. Il demeura par terre, tenant la pelle, sous laquelle il étouffait la flamme, de peur d’incendie. Et il levait sa large face, l’air maussade. M. d’Escorailles ne se déconcerta pas. Lui et la jeune femme, dès le seuil, avaient cessé de se sourire, pour prendre une figure de circonstance.

— Cher maître, dit-il, je vous amène une de vos amies qui tenait absolument à vous apporter ses regrets… Nous avons lu le Moniteur ce matin…

— Vous avez lu le Moniteur, vous autres, gronda Rougon qui se décida enfin à se mettre debout.

Mais il aperçut une personne qu’il n’avait pas encore vue. Il murmura, après avoir cligné les yeux :

— Ah ! monsieur Bouchard.

C’était le mari, en effet. Il venait d’entrer, derrière les jupes de sa femme, silencieux et digne. M. Bouchard avait soixante ans, la tête toute blanche, l’œil éteint, la face comme usée par ses vingt-cinq années de service administratif. Lui, ne prononça pas une parole. Il prit d’un air pénétré la main de Rougon, qu’il secoua trois fois, de haut en bas, énergiquement.

— Eh bien ! dit ce dernier, vous êtes très-gentils d’être tous venus me voir ; seulement, vous allez diable-