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LES ROUGON-MACQUART

M. Bouchard, qui voulurent gagner l’embrasure d’une fenêtre, durent prendre les plus grandes précautions pour ne pas écraser en chemin quelque affaire importante. Tous les siéges étaient encombrés de paquets ficelés ; madame Bouchard seule avait pu s’asseoir sur un fauteuil resté libre ; et elle souriait aux galanteries de Du Poizat et de M. Kahn, pendant que M. d’Escorailles, ne trouvant plus de tabouret, lui glissait sous les pieds une épaisse chemise bleue bourrée de lettres. Les tiroirs du bureau, culbutés dans un coin, permirent aux Charbonnel de s’accroupir un instant, pour reprendre haleine ; tandis que le jeune Auguste, ravi de tomber dans ce remue-ménage, furetait, disparaissait derrière la montagne de cartons, au milieu de laquelle Delestang semblait se retrancher. Ce dernier faisait beaucoup de poussière, en jetant de haut les journaux de la bibliothèque. Madame Bouchard eut une légère toux.

— Vous avez tort de rester dans cette saleté, dit Rougon, occupé à vider les cartons qu’il avait prié Delestang de ne point toucher.

Mais la jeune femme, toute rose d’avoir toussé, lui assura qu’elle était très-bien, que son chapeau ne craignait pas la poussière. Et la bande se lança dans les condoléances. L’empereur, vraiment, ne se souciait guère des intérêts du pays, pour se laisser circonvenir par des personnages si peu dignes de sa confiance. La France faisait une perte. D’ailleurs, c’était toujours ainsi : une grande intelligence devait liguer contre elle toutes les médiocrités.

— Les gouvernements sont ingrats, déclara M. Kahn.

— Tant pis pour eux ! dit le colonel. Ils se frappent en frappant leurs serviteurs.

Mais M. Kahn voulut avoir le dernier mot. Il se tourna vers Rougon.