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LES ROUGON-MACQUART.

Vous savez qu’il faudra me caser cette vermine-là, un de ces jours. Je compte sur vous. J’hésite encore entre la magistrature et l’administration… Donne une poignée de main, Auguste, pour que ton bon ami se souvienne de toi.

Pendant ce temps, madame Bouchard, qui mordillait son gant d’impatience, s’était levée et avait gagné la fenêtre de gauche, en ordonnant d’un regard à M. d’Escorailles de la suivre. Le mari se trouvait déjà là, les coudes sur la barre d’appui, à regarder le paysage. En face, les grands marronniers des Tuileries avaient un frisson de feuilles, dans le soleil chaud ; tandis que la Seine, du pont Royal au pont de la Concorde, roulait des eaux bleues, toutes pailletées de lumière.

Madame Bouchard se tourna tout d’un coup, en criant :

— Oh ! monsieur Rougon, venez donc voir !

Et, comme Rougon se hâtait de quitter le colonel pour obéir, Du Poizat, qui avait suivi la jeune femme, se retira discrètement, alla rejoindre M. Kahn à la fenêtre du milieu.

— Tenez, ce bateau chargé de briques, qui a failli sombrer, racontait madame Bouchard.

Rougon resta là complaisamment, au soleil, jusqu’à ce que M. d’Escorailles, sur un nouveau regard de la jeune femme, lui dît :

— Monsieur Bouchard veut donner sa démission. Nous vous l’avons amené pour que vous le raisonniez.

Alors, M. Bouchard expliqua que les injustices le révoltaient.

— Oui, monsieur Rougon, j’ai commencé par être expéditionnaire à l’Intérieur, et je suis arrivé au poste de chef de bureau, sans rien devoir à la faveur ni à l’intrigue… Je suis chef de bureau depuis 47. Eh bien ! le poste de chef de division a déjà été cinq fois vacant,