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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

mené à Brest par une de nos frégates, la Vigilante. À la suite de l’instruction que fit la commission locale, l’officier d’administration conclut à la validité de la capture, sans en référer au Conseil des prises. Cependant, le sieur Rodriguez s’était empressé de se pourvoir au Conseil d’État. Puis, il était mort, et son fils, sous tous les gouvernements, avait tenté vainement d’évoquer l’affaire, jusqu’au jour où un mot de son arrière-petite cousine, devenue toute-puissante, finit par faire mettre le procès au rôle.

Au-dessus de leurs têtes, les trois députés entendaient la voix monotone du président, qui continuait :

— Présentation d’un projet de loi autorisant le département du Calvados à ouvrir un emprunt de trois cent mille francs… Présentation d’un projet de loi autorisant la ville d’Amiens à ouvrir un emprunt de deux cent mille francs pour la création de nouvelles promenades… Présentation d’un projet de loi autorisant le département des Côtes-du-Nord à ouvrir un emprunt de trois cent quarante-cinq mille francs, destiné à couvrir les déficits des cinq dernières années…

— La vérité est, dit M. Kahn en baissant encore la voix, que le Rodriguez en question avait eu une invention fort ingénieuse. Il possédait avec un de ses gendres, fixé à New-York, des navires jumeaux voyageant à volonté sous le pavillon américain ou sous le pavillon espagnol, selon les dangers de la traversée… Rougon m’a affirmé que le navire capturé était bien à lui, et qu’il n’y avait aucunement lieu de faire droit à ses réclamations.

— D’autant plus, ajouta M. Béjuin, que la procédure est inattaquable. L’officier d’administration de Brest avait parfaitement le droit de conclure à la validation, selon la coutume du port, sans en référer au Conseil des prises.