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UNE PAGE D’AMOUR.

à la suivre, lorsqu’elle se sentit toucher doucement. Le docteur souriait derrière elle. Il ne la quittait pas.

— Vous ne prenez donc rien ? demanda-t-il.

Et, sous cette phrase banale, il mettait une supplication si vive, qu’elle éprouva un grand trouble. Elle entendait bien qu’il lui parlait d’autre chose. Une excitation la gagnait peu à peu elle-même, dans cette gaieté qui l’entourait. Tout ce petit monde sautant et criant lui donnait de sa fièvre. Les joues roses, les yeux brillants, elle refusa d’abord.

— Non, merci, rien du tout.

Puis, comme il insistait, prise d’une inquiétude, voulant se débarrasser de lui :

— Eh bien ! une tasse de thé.

Il courut, rapporta la tasse. Ses mains tremblaient, en la présentant. Et, pendant qu’elle buvait, il s’approcha d’elle, les lèvres gonflées et frémissantes de l’aveu qui montait de son cœur. Alors, elle recula, lui tendit la tasse vide, et se sauva pendant qu’il la posait sur un dressoir, le laissant seul dans la salle à manger avec mademoiselle Aurélie, en train de mâcher lentement et d’inspecter les assiettes d’une façon méthodique.

Le piano jouait très-fort, au fond du salon. Et, d’un bout à l’autre, le bal s’agitait dans une drôlerie adorable. On faisait cercle autour du quadrille où dansaient Jeanne et Lucien. Le petit marquis brouillait un peu les figures ; il n’allait bien que lorsqu’il lui fallait empoigner Jeanne ; alors, il la prenait à bras-le-corps, et il tournait. Jeanne se balançait comme une dame, ennuyée de le voir chiffonner son costume ; puis, emportée par le plaisir, elle le saisissait à son tour, l’enlevait du sol. Et l’habit de satin blanc broché de bouquets se mêlait à la robe brodée de fleurs et