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Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/141

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UNE PAGE D’AMOUR.

n’aurait point assez d’air pour lui rendre la régularité et la paix de son haleine.

Pendant quelques minutes, elle resta là, éperdue, dans cette crise qui la tenait tout entière. C’était, en elle, comme un grand ruissellement de sensations et de pensées confuses, dont le murmure l’empêchait de s’écouter et de se comprendre. Ses oreilles bourdonnaient, ses yeux voyaient de larges taches claires voyageant avec lenteur. Elle se surprit à examiner ses mains gantées, et à se souvenir qu’elle avait oublié de recoudre un bouton au gant de la main gauche. Puis, elle parla tout haut, elle répéta plusieurs fois, d’une voix de plus en plus basse :

— Je vous aime… Je vous aime… Mon Dieu ! je vous aime…

Et, d’un mouvement instinctif, elle posa la face dans ses mains jointes, appuyant les doigts sur ses paupières closes, comme pour augmenter la nuit où elle se plongeait. Une volonté de s’anéantir la prenait, de ne plus voir, d’être seule au fond des ténèbres. Sa respiration se calmait. Paris lui envoyait au visage son souffle puissant ; elle le sentait là, ne voulant point le regarder, et cependant prise de peur à l’idée de quitter la fenêtre, de ne plus avoir sous elle cette ville dont l’infini l’apaisait.

Bientôt, elle oublia tout. La scène de l’aveu, malgré elle, renaissait. Sur le fond d’un noir d’encre, Henri apparaissait avec une netteté singulière, si vivant, qu’elle distinguait les petits battements nerveux de ses lèvres. Il s’approchait, il se penchait. Alors, follement, elle se rejetait en arrière. Mais, quand même, elle sentait une brûlure effleurer ses épaules, elle entendait une voix : « Je vous aime… Je vous aime… » Puis, lorsque d’un suprême effort elle avait chassé