Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
144
LES ROUGON-MACQUART.

ne connaissait pas Henri. Elle était très-forte, à présent que son image ne la poursuivait plus. Une révolte la poussait à nier cette possession qui, en quelques semaines, l’avait emplie de cet homme. Non, elle ne le connaissait pas. Elle ignorait tout de lui, ses actes, ses pensées ; elle n’aurait même pu dire s’il était une grande intelligence. Peut-être manquait-il de cœur plus encore que d’esprit. Et elle épuisait ainsi toutes les suppositions, se gonflant le cœur de l’amertume qu’elle trouvait au fond de chacune, se heurtant toujours à son ignorance, à ce mur qui la séparait d’Henri et qui l’empêchait de le connaître. Elle ne savait rien, elle ne saurait jamais rien. Elle ne se l’imaginait plus que brutal, lui soufflant des paroles de flamme, lui apportant le seul trouble qui, jusqu’à cette heure, eût rompu l’équilibre heureux de sa vie. D’où venait-il donc pour la désoler de la sorte ? Tout d’un coup, elle pensa que, six semaines auparavant, elle n’existait pas pour lui, et cette idée lui fut insupportable. Mon Dieu ! n’être pas l’un pour l’autre, passer sans se voir, ne point se rencontrer peut-être ! Elle avait joint désespérément les mains, des larmes mouillaient ses yeux.

Alors, Hélène regarda fixement les tours de Notre-Dame, très-loin. Un rayon, dardant entre deux nuages, les dorait. Elle avait la tête lourde, comme trop pleine des idées tumultueuses qui s’y heurtaient. C’était une souffrance, elle aurait voulu s’intéresser à Paris, retrouver sa sérénité, en promenant sur l’océan des toitures ses regards tranquilles de chaque jour. Que de fois, à pareille heure, l’inconnu de la grande ville, dans le calme d’un beau soir, l’avait bercée d’un rêve attendri ! Cependant, devant elle, Paris s’éclairait de coups de soleil. Au premier rayon