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LES ROUGON-MACQUART.

Mais cette parole, toute puissante autrefois, qui la ramenait en larmes aux bras d’Hélène, ne la touchait plus. Son caractère changeait. Dix fois dans une journée, elle montrait des humeurs différentes. Le plus souvent, elle avait une voix brève et impérative, parlant à sa mère comme elle aurait parlé à Rosalie, la dérangeant pour les plus petits services, s’impatientant, se plaignant toujours.

— Donne-moi une tasse de tisane… Comme tu es longue ! On me laisse mourir de soif.

Puis, lorsque Hélène lui donnait la tasse :

— Ce n’est pas sucré… Je n’en veux pas.

Elle se recouchait violemment, elle repoussait une seconde fois la tisane, en disant qu’elle était trop sucrée. On ne voulait plus la soigner, on le faisait exprès. Hélène, qui craignait de l’affoler davantage, ne répondait pas, la regardait, avec de grosses larmes sur les joues.

Jeanne surtout réservait ses colères pour les heures où venait le médecin. Dès qu’il entrait, elle s’aplatissait dans le lit, elle baissait sournoisement la tête, comme ces animaux sauvages qui ne tolèrent pas l’approche d’un étranger. Certains jours, elle refusait de parler, lui abandonnant son pouls, se laissant examiner, inerte, les yeux au plafond. D’autres jours, elle ne voulait même pas le voir, et elle se cachait les yeux de ses deux mains, si rageusement, qu’il aurait fallu lui tordre les bras, pour les écarter. Un soir, elle eut cette parole cruelle, comme sa mère lui présentait une cuillerée de potion :

— Non, ça m’empoisonne.

Hélène resta saisie, le cœur traversé d’une douleur aiguë, craignant d’aller au fond de cette parole.

— Que dis-tu, mon enfant ? demanda-t-elle. Sais-tu