Aller au contenu

Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
238
LES ROUGON-MACQUART.

en était reculé au fond de l’infini, aussi vaste qu’un firmament. Cependant, en bas des pentes du Trocadéro, une lueur rapide, les lanternes d’un fiacre ou d’un omnibus, coupait l’ombre de la fusée continue d’une étoile filante ; et là, dans le rayonnement des becs de gaz, qui dégageaient comme une buée jaune, on distinguait vaguement des façades brouillées, des coins d’arbres, d’un vert cru de décor. Sur le pont des Invalides, les étoiles se croisaient sans relâche ; tandis que, en dessous, le long d’un ruban de ténèbres plus épaisses, se détachait un prodige, une bande de comètes dont les queues d’or s’allongeaient en pluie d’étincelles ; c’étaient, dans les eaux noires de la Seine, les réverbérations des lanternes du pont. Mais, au delà, l’inconnu commençait. La longue courbe du fleuve était indiquée par un double cordon de gaz, que rattachaient d’autres cordons, de place en place ; on eût dit une échelle de lumière, jetée en travers de Paris, posant ses deux extrémités au bord du ciel, dans les étoiles. À gauche, une autre trouée descendait, les Champs-Élysées menaient un défilé régulier d’astres de l’Arc-de-Triomphe à la place de la Concorde, où luisait le scintillement d’une pléiade ; puis, les Tuileries, le Louvre, les pâtés de maisons du bord de l’eau, l’Hôtel-de-Ville tout au fond, faisaient des barres sombres, séparées de loin en loin par le carré lumineux d’une grande place ; et, plus en arrière, dans la débandade des toitures, les clartés s’éparpillaient, sans qu’on pût retrouver autre chose qu’un enfoncement de rue, un coin tournant de boulevard, un élargissement de carrefour incendié. Sur l’autre rive, à droite, l’esplanade seule se dessinait nettement, avec son rectangle de flammes, pareil à quelque Orion des nuits d’hiver, qui aurait perdu son baudrier ; les