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UNE PAGE D’AMOUR.

J’en ai assez, lâche-moi… Les oreilles, ce sera pour demain.

Mais le ruissellement de l’eau continuait, on entendait l’éponge s’égoutter dans la cuvette. Il y eut un bruit de lutte. L’enfant pleura. Presque aussitôt, elle reparut, très-gaie, criant :

— C’est fini, c’est fini…

Et elle se secouait, les cheveux mouillés encore, toute rose d’avoir été frottée, d’une fraîcheur qui sentait bon. En se débattant, elle avait fait glisser sa camisole ; son jupon se dénouait ; ses bas tombaient, montrant ses petites jambes. Pour le coup, comme disait Rosalie, mademoiselle ressemblait à un Jésus. Mais Jeanne était très-fière d’être propre ; elle ne voulait pas qu’on la rhabillât.

— Regarde un peu, maman, regarde mes mains, et mon cou, et mes oreilles… Hein ! laisse-moi me chauffer, je suis trop bien… Tu ne diras pas, j’ai mérité de déjeuner, aujourd’hui.

Elle s’était pelotonnée devant le feu, dans son petit fauteuil. Alors, Rosalie versa le café au lait. Jeanne prit son bol sur ses genoux, trempant sa rôtie gravement, avec des mines de grande personne. Hélène, d’habitude, lui défendait de manger ainsi. Mais elle demeurait préoccupée. Elle laissa son pain, se contenta de boire le café. À la dernière bouchée, Jeanne eut un remords. Un chagrin lui gonflait le cœur, elle posa le bol et se jeta au cou de sa mère, en la voyant si pâle.

— Maman, est-ce que tu es malade à ton tour ?… Je ne t’ai pas fait de la peine, dis ?

— Non, ma chérie, tu es bien gentille au contraire, murmura Hélène, qui l’embrassa. Mais je suis un peu lasse, j’ai mal dormi… Joue, ne t’inquiète pas.