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LES ROUGON-MACQUART.

un corset… Hope là ! hope là ! Mon Dieu, on n’en finit plus !

Et elle s’éventait, elle faisait la dame qui rentre chez elle et qui gronde ses gens. Jamais elle ne restait à court ; c’était une fièvre, un épanouissement continu d’imaginations fantasques, tout le raccourci de la vie bouillant dans sa petite tête et sortant par lambeaux. La matinée, l’après-midi, elle tourna, dansa, bavarda ; quand elle était lasse, un tabouret, une ombrelle aperçue dans un coin, un chiffon ramassé par terre, suffisaient pour la lancer dans un autre jeu, avec de nouvelles fusées d’invention. Elle créait tout, les personnages, les lieux, les scènes ; elle s’amusait comme si elle avait eu avec elle douze enfants de son âge.

Enfin, la nuit arriva. Six heures allaient sonner. Hélène, s’éveillant de la somnolence inquiète où elle avait passé l’après-midi, jeta vivement un châle sur ses épaules.

— Tu sors, maman ? demanda Jeanne étonnée.

— Oui, ma chérie, une course dans le quartier. Je ne resterai pas longtemps… Sois sage.

Dehors, le dégel continuait. Un fleuve de boue coulait sur les chaussées. Hélène entra, rue de Passy, dans un magasin de chaussures, où elle avait déjà conduit la mère Fétu. Puis, elle revint rue Raynouard. Le ciel était gris, un brouillard montait du pavé. La rue s’enfonçait devant elle, déserte et inquiétante, malgré l’heure peu avancée, avec ses rares becs de gaz, qui, dans la buée d’humidité, faisaient des taches jaunes. Elle pressait le pas, rasant les maisons, se cachant comme si elle fût allée à un rendez-vous. Mais, lorsqu’elle tourna brusquement dans le passage