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UNE PAGE D’AMOUR.

autour du cou de sa mère, elle la baisa, en poussant un gros soupir. Elle avait bien du chagrin.

Au déjeuner, Rosalie s’étonna.

— Madame a donc fait une longue course ?

— Pourquoi donc ? demanda Hélène.

— C’est que madame mange d’un tel appétit… Il y a longtemps que madame n’a si bien mangé…

C’était vrai. Elle avait très-faim, un brusque soulagement lui creusait l’estomac. Elle se sentait dans une paix, dans un bien-être indicibles. Après les secousses de ces deux derniers jours, un silence venait de se faire en elle, ses membres étaient délassés, assouplis comme au sortir d’un bain. Elle n’éprouvait plus que la sensation d’une lourdeur quelque part, un poids vague qui l’appesantissait.

Lorsqu’elle rentra dans la chambre, ses regards allèrent droit à la pendule, dont les aiguilles marquaient midi vingt-cinq minutes. Le rendez-vous de Juliette était pour trois heures. Encore deux heures et demie. Elle fit ce calcul machinalement. D’ailleurs, elle n’avait aucune hâte, les aiguilles marchaient, personne au monde, maintenant, n’avait le pouvoir de les arrêter ; et elle laissait les faits s’accomplir. Depuis longtemps, un bonnet d’enfant commencé traînait sur le guéridon. Elle le prit et se mit à coudre devant la fenêtre. Un grand silence endormait la chambre. Jeanne s’était assise à sa place habituelle ; mais elle restait les mains lasses, abandonnées.

— Maman, dit-elle, je ne peux pas travailler, ça ne m’amuse pas.

— Eh bien, ma chérie, ne fais rien… Tiens, tu enfileras mes aiguilles.

Alors, l’enfant, muette, s’occupa avec des gestes ralentis. Elle coupait soigneusement des bouts de fil