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LES ROUGON-MACQUART.

Lui, la pressait davantage. Il la questionnait de tout près, les lèvres sur les lèvres, pour lui arracher la vérité.

— Vous m’attendiez, vous m’attendiez ?

Alors, s’abandonnant, sans force, reprise par cette lassitude et cette douceur qui la brisaient, elle consentit à dire ce qu’il dirait, à vouloir ce qu’il voudrait.

— Je vous attendais, Henri…

Leurs bouches se rapprochaient encore.

— Mais pourquoi cette lettre ?… Et je vous trouve ici !… Où sommes-nous donc ?

— Ne m’interrogez pas, ne cherchez jamais à savoir… Il faut me jurer cela… C’est moi, je suis près de vous, vous le voyez bien. Que demandez-vous de plus ?

— Vous m’aimez ?

— Oui, je vous aime.

— Vous êtes à moi, Hélène, à moi tout entière ?

— Oui, tout entière.

Les lèvres sur les lèvres, ils s’étaient baisés. Elle avait tout oublié, elle cédait à une force supérieure. Cela lui semblait maintenant naturel et nécessaire. Une paix s’était faite en elle, il ne lui venait plus que des sensations et des souvenirs de jeunesse. Par une journée d’hiver semblable, lorsqu’elle était jeune fille, rue des Petites-Maries, elle avait manqué mourir, dans une petite pièce sans air, devant un grand feu de charbon allumé pour un repassage. Un autre jour, en été, les fenêtres étaient ouvertes, et un pinson égaré dans la rue noire avait d’un coup d’aile fait le tour de sa chambre. Pourquoi donc songeait-elle à sa mort, pourquoi voyait-elle cet oiseau s’envoler ? Elle se sentait pleine de mélancolie et d’enfantillage, dans l’anéantissement délicieux de tout son être.