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UNE PAGE D’AMOUR.

qui s’était récusé ; mais elle finissait par être très-heureuse dans ce milieu, en le sentant solide et simple comme son cœur. Les rideaux lourds, les meubles sombres et cossus, ajoutaient à sa tranquillité. La seule récréation qu’elle prît pendant ses longues heures de travail, était de donner un regard au vaste horizon, au grand Paris qui déroulait devant elle la mer houleuse de ses toitures. Son coin de solitude ouvrait sur cette immensité.

— Maman, je ne vois plus clair, dit Jeanne, assise près d’elle sur une chaise basse.

Et elle laissa tomber son ouvrage, regardant Paris que de grandes ombres noyaient. D’ordinaire, elle était peu bruyante. Il fallait que sa mère se fâchât pour la décider à sortir ; sur l’ordre formel du docteur Bodin, elle l’emmenait pendant deux heures chaque jour au bois de Boulogne ; et c’était là leur unique promenade, elles n’étaient pas descendues trois fois dans Paris en dix-huit mois. Nulle part l’enfant ne semblait plus gaie que dans la grande chambre bleue. Hélène avait dû renoncer à lui faire apprendre la musique. Un orgue jouant dans le silence du quartier la laissait tremblante, les yeux humides. Elle aidait sa mère à coudre des layettes pour les pauvres de l’abbé Jouve.

La nuit était complètement venue, lorsque Rosalie entra avec une lampe. Elle paraissait toute retournée, dans son coup de feu de cuisinière. Le dîner du mardi était le seul événement de la semaine qui mettait en l’air la maison.

— Ces messieurs ne viennent donc pas ce soir, madame ? demanda-t-elle.

Hélène regarda la pendule.

— Il est sept heures moins un quart, ils vont arriver.