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UNE PAGE D’AMOUR.

née ? Jeanne trouvait, dans cette eau qui lui battait les mains, une nouvelle tentation d’être dehors. On devait être très-bien dans la rue. Et elle revoyait, derrière le voile de l’averse, la petite fille poussant un cerceau sur le trottoir. On ne pouvait pas dire, celle-là était sortie avec sa mère. Même elles paraissaient joliment contentes toutes les deux. Ça prouvait qu’on emmenait les petites filles, quand il pleuvait. Mais il fallait vouloir. Pourquoi n’avait-on pas voulu ? Alors, elle songeait encore à son chat rouge qui s’en était allé, la queue en l’air, sur les maisons d’en face, puis à cette petite bête de moineau, qu’elle avait essayé de faire manger, quand il était mort, et qui avait fait semblant de ne pas comprendre. Ces histoires lui arrivaient toujours, on ne l’aimait pas assez fort. Oh ! elle aurait été prête en deux minutes ; les jours où ça lui plaisait, elle s’habillait vite ; les bottines que Rosalie boutonnait, le paletot, le chapeau, et c’était fini. Sa mère aurait bien pu l’attendre deux minutes. Quand elle descendait chez ses amis, elle ne bousculait pas comme ça ses affaires ; quand elle allait au bois de Boulogne, elle la promenait doucement par la main, elle s’arrêtait avec elle à chaque boutique de la rue de Passy. Et Jeanne ne devinait pas, ses sourcils noirs se fronçaient, ses traits si fins prenaient cette dureté jalouse qui lui donnait un visage blême de vieille fille méchante. Elle sentait confusément que sa mère était quelque part où les enfants ne vont pas. On ne l’avait pas emmenée, pour lui cacher des choses. À ces pensées, son cœur se serrait d’une tristesse indicible, elle avait mal.

La pluie devenait plus fine, des transparences se faisaient à travers le rideau qui voilait Paris. Le dôme des Invalides reparut le premier, léger et tremblant,