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UNE PAGE D’AMOUR.

à son secours, ou si elle l’accusait de lui envoyer ce mal dont elle se mourait.

À ce moment, la tempête éclatait. Dans le silence lourd d’anxiété, au-dessus de la ville devenue noire, le vent hurla ; et l’on entendit le craquement prolongé de Paris, les persiennes qui battaient, les ardoises qui volaient, les tuyaux de cheminées et les gouttières qui rebondissaient sur le pavé des rues. Il y eut un calme de quelques secondes ; puis, un nouveau souffle passa, emplit l’horizon d’une haleine si colossale, que l’océan des toitures, ébranlé, sembla soulever ses vagues et disparut dans un tourbillon. Pendant un instant, ce fut le chaos. D’énormes nuages, élargis comme des taches d’encre, couraient au milieu de plus petits, dispersés et flottants, pareils à des haillons que le vent déchiquetait et emportait fil à fil. Un instant, deux nuées s’attaquèrent, se brisèrent avec des éclats, qui semèrent de débris l’espace couleur de cuivre ; et chaque fois que l’ouragan sautait ainsi, soufflant de tous les points du ciel, il y avait en l’air un écrasement d’armées, un écroulement immense dont les décombres suspendus allaient écraser Paris. Il ne pleuvait pas encore. Tout à coup, un nuage creva sur le centre de la ville, une trombe d’eau remonta le cours de la Seine. Le ruban vert du fleuve, criblé et sali par le clapotement des gouttes, se changeait en un ruisseau de boue ; et, un à un, derrière l’averse, les ponts reparaissaient, amincis, légers dans la vapeur ; tandis que, à droite et à gauche, les quais déserts secouaient furieusement leurs arbres, le long de la ligne grise des trottoirs. Au fond, sur Notre-Dame, le nuage se partagea, versa un tel torrent, que la Cité fut submergée ; seules, en haut du quartier noyé, les tours nageaient dans une éclaircie, comme des épaves. Mais,