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UNE PAGE D’AMOUR.

les deux mères causaient, les trois enfants se regardèrent, un peu raides dans leur toilette. Puis, Lucien dit :

— Jeanne est morte.

Il avait le cœur gros, mais il souriait pourtant, d’un sourire étonné. Depuis la veille, l’idée que Jeanne était morte le rendait sage. Comme sa mère ne lui répondait pas, trop affairée, il avait questionné les domestiques. Alors, on ne bougeait plus, lorsqu’on était mort ?

— Elle est morte, elle est morte, répétèrent les deux sœurs, toutes roses dans leurs voiles blancs. Est-ce qu’on va la voir ?

Un moment, il réfléchit, et, les regards perdus, la bouche ouverte, comme cherchant à deviner ce qu’il y avait là-bas, au-delà de ce qu’il savait, il dit à voix basse :

— On ne la verra plus.

Cependant, d’autres petites filles entraient. Lucien, sur un signe de sa mère, allait à leur rencontre. Marguerite Tissot, dans son nuage de mousseline, avec ses grands yeux, semblait une vierge enfant ; ses cheveux blonds s’échappaient du petit bonnet, mettaient comme une pèlerine brochée d’or sous la blancheur du voile. Un sourire discret courut, à l’arrivée des cinq demoiselles Levasseur ; elles étaient toutes pareilles, on aurait dit un pensionnat, l’aînée en tête, la plus jeune à la queue ; et leurs jupes bouffaient tellement, qu’elles occupèrent un coin de la pièce. Mais, lorsque la petite Guiraud parut, les voix chuchotantes montèrent ; on riait, on se la passait pour la voir et la baiser. Elle avait une mine de tourterelle blanche ébouriffée dans ses plumes, pas plus grosse qu’un oiseau, au milieu du frisson des gazes qui la faisaient énorme et toute ronde. Sa mère elle-même ne trouvait plus