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vastation révolutionnaire ; l’autorité souveraine ne persistera pas à résister aux plus justes désirs, et ne s’obstinera pas à défendre un régime condamné par nos mœurs et contraire à nos idées. Ah ! les abus ne sont pas tous extirpés, et il est vaste le champ ouvert à la réforme. Mais l’esprit philosophique qui la soutient et la pousse est vivace, plein de confiance en ses forces et sûr d’être compris : ennemi juré des vieux abus, il leur fait une guerre à outrance, et finira par en triompher.

Ainsi les vieilles institutions sont mises au néant, les traditions tombent dans l’oubli. Insouciante du passé, la philosophie veut rationaliser l’avenir. Mais avant de ramener les sociétés en tout point aux lois d’une saine raison, ne conviendrait-il pas de rendre les hommes eux mêmes plus soumis à ces lois ? Souvent l’abus est dans la précipitation : le sage législateur sait où il doit faire des haltes pour affermir ses institutions avant de les pousser à leurs dernières conséquences ; son grand art, cet art que possédaient et Moise, et Socrate, et Jésus-Christ, c’est de s’accommoder à certains préjugés secondaires pour en détruire plus sûrement de plus pernicieux et saper encore les autres sans alarmer les consciences. Il faut le dire, la liberté a ses abus comme la théocratie, comme la monarchie absolue ; et c’est un grand préjugé que celui qui s’attache au son d’un mot. République et idéal de gouvernement semblent synonymes à bien des gens, depuis qu’une société jeune et disséminée sur un immense territoire a fait de cette forme politique un essai heureux: mais pour une expérience satisfaisante que d’exemples du contraire ! Était-elle bien digne d’envie Rome républicaine au siècle des Gracques, des Marius, des Sylla ? ou n’aurait-elle pas été trop heureuse d’échapper à son orageuse liberté pour trouver le calme, la sûreté, la paix non pas seulement au forum, mais dans l’intérieur même des maisons, sous le sceptre doux et glorieux vers lequel un homme de génie, Jules-César, avait déjà étendu la main ? N’était-ce pas une république que la fière Venise, cette maitresse des mers, cette cité jalouse de ses


droits ? et cependant jamais abus ne furent plus révoltans que ceux qui la gouvernaient, à l’aide des inquisiteurs et des cachots sous les plombs. Et pour en venir à nos jours, quel état fut jamais plus stationnaire que les démocraties de Schwytz, d’Uri et d’Undenvalden où des masses entières règnent par les préjugés ?

Rien de plus utile, rien de plus vivifiant que la liberté de la presse dans nos états constitutionnels modernes ; mais aussi rien de plus menaçant, rien de plus pernicieux pour les sociétés que son abus. Nous n’en citerons point des exemples ; chacun en trouve sans peine dans ses plus récens souvenirs ; il n’oublie pas que cette arme à deux tranchans l’a fait trembler long-temps pour ce qu’il avait de plus cher, pour l’ordre public, pour cette liberté même dont des novateurs inconsidérés s’autorisent en lui portant les plus terribles coups, et pour le for de la conscience auquel l’intolérance philosophique a aussi cru pouvoir s’attaquer. Ils sont nombreux les abus de la presse ; les bonnes études en gémissent non moins que la politique saine et modérée. Mais ce n’est pas ici le lieu de les signaler (v. Presse et Journalisme), d’expliquer la tactique des partis, de faire connaître les juges dispensateurs de la gloire littéraire non moins que des témoignages de civisme, de déplorer l’absence de toute critique impartiale et consciencieuse, d’en rechercher les causes dans la camaraderie des uns (voy. ce mot) et dans la vénalité des autres, et de rendre ensuite une justice éclatante à ceux qui, par des services journaliers, ont bien mérité des lettres, de la patrie, de l’humanité.

L’occasion se présentera de nous élever contre d’autres genres d’abus relatifs ou à la société entière (voy. Sinécures, Cumul, Pension, Bureaucratie, Duel, Népotisme), ou à certaines de ses parties ; contre ce charlatanisme qui envahit toutes les professions, et dont ne sont exempts ni le sanctuaire des lois, ni la chaire du professeur, ni la tribune du mandataire public (v. Déclamation, Démagogie, Tactique parlementaire). Quel abus, dans la vie de tous les jours, que cet industrialisme universel, que ces