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tôt plus basse, tantôt plus élevée ou plus grêle, tantôt plus épaisse ou plus svelte. Une certaine uniformité de mesure règne, il est vrai, entre la hauteur et la grosseur de quelques colonnes, mais ces choses-là se rencontrent partout, et les procédés les plus simples de la construction servent à établir ce rapport. Il y eut certainement en Egypte des mesures fixées pour tout, et l’on faisoit un temple, une colonne, comme ou faisoit une statue, avec le compas : voilà tout ; mais le compas ou l’emploi simple et mécanique de cet instrument, ne donnent point ces rapports d’harmonie, de goût et de beauté, sur lesquels repose l’ordre par excellence.

Le trop d’uniformité et de servilité s’opposa, en Egypte, à ce qu’il s’y établit un système de proportions, résultat de l’ordre, résultat dont la propriété est de manifester l’intelligence qui le produit. Il y avoit des mesures générales, c’est-à-dire, celles que le besoin et l’habitude fixent dans les produits routiniers de l’industrie, entre leurs parties principales ; mais on n’y connut pas ce module régulateur, qui peut devenir la mesure de tous les édifices, et qu’on peut trouver dans chacune de leurs plus petites parties.

Si l’excès de simplicité et d’uniformité routinière s’opposa, dans l’architecture égyptienne, à la découverte d’un système de rapports à la fois fixes dans leurs principes, et variables dans leurs applications, selon les différences de caractère et d’idées que l’art veut exprimer, nous avons vu à l’article Gothique (voyez ce mot) que le genre de bâtisse auquel on donne ce nom, naquit, par un sort contraire, de tant d’élémens hétérogènes, et prit naissance dans des temps d’une telle confusion, d’une, telle ignorance, que l’extrême diversité de formes, inspirées par le seul caprice, empêcha tout vrai système de proportion de s’introduire dans une architecture qui n’exprime réellement à l’esprit, par le mélange d’élémens qui le constituent, que l’idée du désordre.

Il faut ici s’entendre sur les vraies notions que comporte cette matière ; car beaucoup de personnes se trompent dans les idées qu’elles se forment de l’ordre et de la proportion en architecture. Lorsqu’on entre dans un intérieur d’église gothique, ou est frappé de la disposition régulière des piliers et des arcades dont elle se compose ; on y admire l’élancement de ses voûtes, la légèreté, et ce qu’on appelle la hardiesse de ses masses ; mais tous ces mérites, quelle que soit leur valeur, ne tiennent en rien au principe de l’espèce d’ordre que nous disons être celui du système d’une architecture. Beaucoup de choses dictées par le seul instinct peuvent produire des beautés dans cet art, et n’avoir point de proportions, dans le sens qu’il faut attacher à ce mot. Ainsi, interroges l’architecture gothique, demandez-lui si ses piliers ont des rapports fixes entr’eux et entre leurs parties. Elle vous répondra par les faits, que le même pilier pourra avoir en hauteur trois fois, ou six fois, et encore plus sa grosseur ; que rien de tout cela n’y est déterminé, de manière à être constant ni dans les édifices, ni même dans un seul bâtiment, quelle que soit sa dimension. Demandez-lui si le chapiteau a un rapport de grandeur, du forme et d’ornement avec son pilier. Elle vous répondra par les faits, que le seul caprice ou le hasard en décide. Demandez-lui si elle a des membres, des saillies, des détails correspondans à telle ou à telle disposition. Elle vous dira que jamais elle ne s’est inquiétée d’autres rapports, que de ceux de la bâtisse et de l’exécution ; elle vous montrera les supports les plus écrasés à côté des fuseaux les plus élancés ; elle vous fera voir des agroupemens de petites colonnes qui ne supportent rien, et tantôt une multitude de ces supports inutiles, tantôt des masses en porte-à-faux ou sans supports. Si vous lui demandez raison de ses extérieurs d’églises, elle ne vous répondra que par une confusion indigeste de parties et de détails incohérens, découpés par le caprice le plus ignorant. Si elle fait des élévations, elle ne leur proportionne jamais leur soutien, et elle tire vanité d’une procérité qui n’aspire qu’à paroître un tour de force.

Il n’y a donc point un système de proportion dans le gothique ; il n’y règne point un principe d’ordre, qui permette de demander à chaque partie, à chaque détail, à chaque ornement, la raison qui les coordonne au tout, et avec d’autres parties, d’autres détails, d’autres ornemens.

On croit qu’il est fort inutile de montrer qu’un pareil esprit n’entra jamais dans l’architecture indienne (voyez ce mot), produit d’un instinct encore plus borné, et où le luxe d’ornemens les plus désordonnés, prend la place des formes qui pourroient constituer une manière quelconque de bâtir. Encore plus, sans doute, sera-t-on dispensé de chercher la moindre indication du principe d’ordre dont il s’agit ici, dans les légèretés des structures de la Chine, et chez un peuple où tout a été, de tout temps, réduit en routine, Faisons donc voir maintenant que le principe d’ordre que nous n’avons pu trouver dans aucune des architectures connues, non-seulement est lisiblement écrit dans l’architecture grecque, mais ne peut pas ne point y être, puisque cette architecture lui a dû, en quelque sorte, sa naissance.

En effet, il faut se souvenir (nous n’en donnerons pas ici les preuves (voyez les mots Architecture, Bois, Charpente, Dorique, etc.) que l’architecture grecque, telle que les monumens nous la présentent, avec les développemens et les modifications qui l’ont fixée, et l’ont rendue applicable à tous les peuples, n’eut pas pour créateur unique cet instinct qui partout apprit à tailler et assembler des pierres. Elle seule eut, pendant les siècles qui l’ont formée, une espèce de modèle et ce modèle étoit lui-même une com-