Elle n’a plus rien à faire, là où il n’y a lieu ni à comparaison, ni à rapprochement.
L’uniformité donc, telle que nous l’entendons ici, loin de ressembler à l’unité en diffère totalement. L’ame aime et veut l’unité, parce qu’elle veut, avant tout, que ce qu’on lui présente à voir et à entendre, puisse être entendu et vu assez distinctement, pour qu’elle en saisisse, sans trop de peine, les rapports. C’est que le désordre et la confusion sont pour elle un objet de fatigue ; c’est que la simplicité, compagne ordinaire de l’unité (voyez SIMPLICITÉ), lui rend facile, par l’ordre établi dans les objets, l’action de les discerner, de les comparer et de les juger.
Mais cela signifie-t-il que l’ame ne demande, par exemple, à la peinture, que des figures rangées sur une ligne droite ; à l’architecture, qu’une façade sans division et sans détails ; à l’art de l’orateur, qu’un discours sans mouvemens ; à l’art du chant, que des accords à l’unisson ; au poète, qu’un drame sans action, des récits sans fiction, des compositions sans épisodes ? Non sans doute : l’ame appelle au contraire la variété à l’aide de l’unité. La variété est pour elle, comme au physique, l’assaisonnement est ce qui éveille et soutient l’appétit.
Si la variété se laisse définir par le sentiment, lorsqu’on en rapproche la notion de celle de l’uniformité, qui est son contraire, elle trouve aussi une explication non moins sensible dans la différence de signification et d’idée, qu’on doit attacher au mot diversité, employé trop souvent comme synonyme de variété. Il ne sauroit être ici question d’une exactitude grammaticale dans l’appréciation des deux termes. Je dirai cependant que diversité me paroît s’appliquer plus particulièrement à ce qui regarde le genre, et variété à ce qui regarde l’espèce. Diversité exprime l’idée d’une différence marquée entre deux objets, entre deux actions, entre deux idées ; variété n’exprime que des nuances ou des dissemblances légères. On dit la diversité des couleurs, des climats, des caractères, des nations, des mœurs. Le mot variété indiquera les teintes de la même couleur, les irrégularités d’un même climat, les inégalités d’un caractère, les disparités qui se rencontrent dans les habitudes d’une même nation, dans les goûts d’un même homme ; on dira la diversité des croyances, et la variété des opinions.
Si cela est, la diversité est beaucoup moins propre que la variété, à entrer dans les tempéramens qui sont compatibles avec l’unité.
Ces tempéramens doivent être tels, que sans altérer le principe de l’unité, ils l’empêchent seulement de tomber dans l’uniformité. Ainsi, la variété n’ira jamais jusqu’à s’attaquer au fond des choses, aux bases de l’invention, aux formes principales d’un ouvrage, aux lois qui en régissent on en règlent la composition et l’ordonnance
générale. Non ; mais quand ces grands objets ont été déterminés selon les intérêts de l’unité, la variété intervient dans tous les détails, elle introduit dans le parti général de la composition, dans les masses de son ensemble, des modifications de formes, d’effet, de dessin, de caractère, qui font que, sans changer ni le plan, ni le motif, ni l’intention de l’ouvrage principal, elles lui donnent un attrait nouveau, elles excitent l’esprit et les yeux à s’arrêter sur des objets qui, tout à la fois, sont et ne sont pas les mêmes. La variété multiplie ainsi les créations de l’art, comme le fait la nature, qui, d’un type toujours semblable, sait sortir une infinité de dissemblances.
Telle est l’idée de la variété que nous donnent, en tout genre, les œuvres des grands maîtres. Par exemple, rien en peinture, ne concourt plus à produire l’unité de composition de certains sujets, qu’une certaine affectation de symétrie entre les masses correspondantes des deux côtés d’un tableau. Raphaël a souvent usé de ce procédé, et quelques critiques ont remarqué que cette espèce de symétrie est agréable au spectateur, parce qu’offrant, si l’on peut dire, comme un tout en deux parties égales, elle facilite à l’esprit et aux yeux le moyen d’en embrasser la conception, et de jouir de sa totalité. C’est le même effet que nous demandons à tout édifice, qui, sons peine de duplicité, est tenu d’observer une symétrie, laquelle répète, en général, d’un côté de son élévation, le dessin de l’autre côté. Cependant Raphaël, dans son unité, jusqu’à un certain point symétrique de composition, a su éviter l’abus de l’uniformité. S’il en existe l’apparence dans le parti général de la masse, il en a très-habilement prévenu le désagrément, par une savante et ingénieuse variété de lignes, de formes, d’attitudes, de groupes, d’ajustemens et de motifs, d’où résulte encore, pour l’esprit et les yeux, le plaisir particulier qu’où éprouve à voir sortir une beauté, de ce qui auroit pu produire un défaut.
Comme la variété fait le charme de l’unité, il faut reconnoître que, sans le principe de l’unité, la variété n’auroit pas lieu. Ce sont deux qualités corrélatives, dont l’une n’existe que sous la condition de l’autre ; et c’est ce qui fait bien distinguer la variété de la diversité, dont le corrélatif est l’uniformité : ce qui signifie qu’elles sont deux défauts contraires. Aussi n’opposons-nous pas la variété en elle-même à l’uniformité nous la considérons comme en étant moins le contraire que le correctif.
L’architecture est peut-être de tous les arts celui que la nature des choses porte le plus à l’uniformité, et à son article (voyez UNIFORMITÉ), nous avons même prétendu que ce mot comportant deux sens différens, l’un qui est l’expression d’un défaut (comme abus ou excès de l’unité) ;