nous apprend lui-même, dans la préface de son sixième livre. Nous lisons dans celle du troisième, d’autres renseignemens sur sa personne, d’où l’on est en droit de conclure, qu’il étoit d’une petite taille, et qu’il mourut dans un âge sort avancé. Mihi staturam non tribuit natura, faciem deformavit œtas, valetudo detraxit vires.
Qu’il ait réuni comme cela se pratiquoit dans l’antiquité, comme cela eut lieu aussi dans les temps modernes, les connoissances appliquables à tous les genres d’architecture, surtout aux constructions militaires, comme aux édifices civils, c’est ce qui ressort des documens mêmes de son Traité, c’est ce que confirment tous les faits qu’il renferme. Ainsi nous voyons par la description qu’il en fait, que le monument de la basilique de Fano fut son ouvrage ; et dans la préface de son livre premier, il nous apprend que, de concert avec M. Aurelius, Publius Numidins, et Cneius Cornélius, il fut employé à la construction des machines de guerre.
Vitruve s’est plaint en plus d’un endroit de son ouvrage, de ce qu’on avoit peu rendu justice à son mérite. Mais s’est-il trouvé beaucoup de personnes, en quelque carrière que ce soit, qui n’aient cru devoir s’élever contre les arrêts, soit de la fortune, soit de la justice des contemporains ? Si par les brigues de ses rivaux, il ne fut donné à Vitruve d’élever aucun autre monument que celui de la basilique de Fano, nous voyons toutefois, qu’il étoit arrivé à un degré d’estime et de considération, qui lui valut de l’empereur Auguste, une pension viagère, pour le récompenser soit de ses services, soit de la dédicace de son ouvrage.
On doit reconnoître qu’il fut on homme fort instruit, et il faut encore lui faire un mérite de la modestie avec laquelle il avoue (liv. I. ch. ) qu’on ne doit le juger, ni comme philosophe, ni comme rhétoricien, ni comme grammairien, mais qu’on doit simplement se contenter de voir en lu. , un architecte versé, pour l’usage de son art, dans ces diverses sciences. Sed ut architectus his litteris imbutus.
Comme écrivain, Vitruve peut être soumis à deux critiques différentes, celle des mots, et celle de la manière de les employer, ce qu’on peut appeler le style.
Quant au premier article, il est juste de reconnoître qu’une multitude d’obscurités, qu’on lui reproche, a dû provenir du genre même de la matière, qui comporte un grand nombre de termes techniques, qu’on ne retrouve chez aucun autre auteur, et dont l’explication reste ainsi environnée d’obscurités. Il faut ajouter que Vitruve se. trouva encore dans la nécessité d’emprunter au grec beaucoup de termes, qui, vu le manque d’écrivains latins sur l’architecture, ne s’étoient
pas naturalisés à Rome, et très-probablement ne parvinrent jamais à l’être.
Pour ce qui regarde la manière d’écrire ou le style, bien qu’on mette Vitruve dans le petit nombre des écrivains latins de ce siècle, qu’on a nommé le siècle d’or, il se peut qu’il doive faire autorité sur tout ce qui tend à constater l’état de la langue sous Auguste ; mais on y chercheroit vainement ce qui constitue le génie d’une langue élaborée par l’art et par le goût. Si nous en jugeons d’après la comparaison des écrivains modernes, qui nous out laissé des traités d’architecture, nous serons fondés à croire qu’il n’a été surpassé par aucun, dans ce qui fait l’objet principal de ces sortes d’ouvrages, c’est-à-dire l’ensemble et les détails du plan, la justesse des observations et des préceptes. Mais nous conviendrons encore, qu’on ne sauroit exiger de l’architecte antique, plus que des modernes, aucune de ces qualités qui forment l’élégance de la diction, et mêlent au discours de ces ornemens que repousse le genre didactique. C’est la clarté qui fait le mérite de ce genre, et peut-être est-ce là celui qu’on pourroit quelquefois contester à Vitruve, si, après dix-huit siècles, il étoit permis de porter des jugemens absolus sur les auteurs qui ont écrit dans une langue aujourd’hui morte, et dont l’esprit nous est devenu en grande partie étranger.
Comme c’est dans certaines particularités, et par quelques détails relatifs à la personne, que Vitruve nous a fourni les seuls renseignemens dont son histoire peut se composer, c’est aussi de tout ce qu’il n’a pas dit, et de son silence sur plus d’un point important, qu’on peut tirer quelques conjectures propres à faire apprécier et mesurer, soit la nature, soit l’étendue de ses connoissances historiques en architecture. Ainsi il est bien prouvé par presque toutes les pages de son Traite, qu’il s’étoît procuré des notions sur les grands monumens de l’architecture des Grecs. Toutefois, ces notions, il lui fut facile de se les approprier, par les dessins des ouvrages qui étoient répandus partout, et au moyen des écrits des grands architectes antérieurs à lui. Effectivement, nous tenons de lui-même la notice de tous ceux, ou qui avoient publié des descriptions de monumens, ou qui avoient composé des traités sur leur art. Mais il n’y a dans tous ses dix livres aucun passage d’où l’on puisse inférer qu’il ait vu lui-même ces monumens, ou qu’il soit sorti de l’Italie, et peut-être de l’Italie supérieure.
Ce qui confirmeroit cette présomption, c’est qu’en aucun endroit de son ouvrage, ni même à l’article où il traite de l’ordre dorique, il ne donne à connoître qu’il ait eu en vue le mode dorique de tous les temples grecs, mode essentiellement différent de celui dont il prescrit les règles, soit pour la proportion, soit pour les formes, soit pour les détails du chapiteau, de la frise, etc. Or, on sait aujourd’hui que si Vitruve