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malignité, les fureurs de la jalousie dégradent, avilissent, déshonorent ?

La carrière des arts est celle de la gloire. Il est impossible qu’on puisse y courir sans obstacles, sans embarras, sans rivaux, il est des moments de dégoût, des occasions d’impatience, des préférences piquantes, des coups inattendus, des revers douloureux, des injustices outrageantes. L’ame s’affecte, l’esprit s’aigrit, la bile s’allume, le trait échappe, & il nous perd.

Du flegme, une étude profonde, beaucoup de patience, un grand fond de fermeté, la certitude que les hommes ne sont pas toujours injustes, le secours du temps, & sur-tout des efforts redoublés pour mieux faire ; voilà les moyens légitimes qu’on doit se ménager pour les circonstances malheureuses, les seules armes avec lesquelles il faut combattre ses ennemis, les grandes ressources qu’il est glorieux d’employer en faveur de la bonne cause.

Les flots de la multitude emportent bien loin de vous un rival qui vous est inférieur. Dans ces moments d’ivresse & de délire, que peuvent vos murmures, vos cris, vos mouvements ? Opposez une tète froide à l’orage,& laissez couler le torrent ; si la source dont il part n’est ni pure ni féconde ; vous le verrez baisser, se dessécher, disparoître, & ne laisser après lui qu’une vase infectée.

Une cabale puissante suscite contre vous une foule de juges injustes ; vous connoissez l’auteur de votre disgrace. La colère vous le peint avec des traits qui, rendus au grand jour, peuvent le couvrir d’un ridicule éternel. Cette cruelle idée vous rit & rien ne vous arrête. Votre plume se trempe dans le fiel. Vous espérez tracer la honte & immortaliser votre vengeance. Quelle erreur ! le blanc, contre lequel vous tirez à bout portant, est appuyé sur une colonne de marbre. La balle le perce sans doute ; mais la colonne la repousse contre vous : vous tombez l’un & l’autre frappés du même coup, & vous restez à terre pour y être foulés aux pieds de la multitude, dont vous auriez tôt ou tard fixé l’admiration, & qui vous méprise.

Hommes privilégiés par la nature, aimez-vous mutuellement ; estimez-vous, encouragez-vous ; donnez le ton au public, qui ne demande pas mieux que de le prendre. Son penchant le porte à vous caresser, à vous chérir, à vous estimer. S’il se refroidit quelquefois, s’il vous humilie, s’il vous dédaigne, c’est presque toujours votre faute, & rarement la sienne. Regardez-vous comme les enfans d’une même famille, & concourez de touts vos efforts à sa splendeur. Soyez rivaux sans jalousie ; disputez le prix sans aigreur ; courez au même but avec amitié. Si vous voulez vivre heureux, si vous aspirez à l’estime publique, si l’honneur de votre nom vous intéresse, employez le présent à mériter les suffrages de l’avenir. Aimez la gloire, & ne haïssez que l’envie ; mais ne la craignez pas. Les mouches cantarides ne s’attachent qu’au meilleur bled, & aux roses les plus fraîches.... Je n’ai rien fait encore qui soit digne d’estime, disoit Thémistocle dans sa jeunesse ; tout le monde m’accueille, & personne ne me porte envie.

Vices du grand ballet.

Le grand ballet est un spectacle de danse. Les vers qui exposent le sujet, les machines qui l’embellissent, les décorations qui établissent le lieu où il s’exécute, n’en font que des parties accessoires. La danse est l’objet principal.

Or la danse théâtrale, ainsi que la poésie dramatique, doit toujours peindre, retracer, être elle-même une action. Tout ce qui se passe au théâtre est sujet à cette loi immuable. Tout ce qui s’en écarte est froid, monotone, languissant.

Il n’est donc pas possible de faire du grand ballet un spectacle susceptible de l’intérêt théâtral, parce que cet intérêt ne peut se trouver que dans la représentation d’une action suivie.

Chaque œuvre dramatique a le sien. Le spectateur est attaché, ou par le cœur, ou par l’esprit à la suite successive de l’événement qui se passe sous ses yeux. C’est cet attachement que l’art du théâtre inspire ; c’est cette attention suivie & involontaire qu’il fait naître qu’on a nommé intérêt, & il a autant de caractères plus ou moins vifs, qu’il y a de genres d’action propres au théâtre.

Dans le grand ballet, il y a beaucoup de mouvement & point d’action. La danse peut bien y peindre par les habits, par des pas, par des attitudes, des caractères nationaux, quelques personnages de la fable ou de l’histoire ; mais la peinture ressemble alors à la peinture ordinaire, qui ne peut rendre qu’un seul moment, & le théâtre par sa nature est fait pour représenter une suite de momens, de l’ensemble desquels il résulte un tableau vivant & successif qui ressemble à la vie humaine.

Il étoit aisé de combiner les différentes entrées du grand ballet de manière qu’elles concourussent toutes à l’objet principal qu’on s’y proposoit, & d’y procurer aux danseurs des occasions d’y développer les grâces de la danse simple ; mais la danse composée, celle qui exprime les passions, & par conséquent la seule digne du théâtre, ne pouvoit y entrer qu’en passant. Les Furies, dans une entrée particulière, par exemple, pouvoient sans doute par des pas rapides, par des sauts précipités, par des tourbillons violens, peindre la rage qui les agite ; mais ce n’étoit qu’un trait général, un coup de pinceau épisodique. Il en résultoit qu’on avoit vu les Furies, & rien de plus.

Dans une action, au contraire, où la vengeance & les Euménides voudroient inspirer les transports qu’elles ressentent à un personnage principal, tout l’art de la danse employé à peindre par gradation & d’une manière successive, l’intention de ces barbares divinités, les combats de l’acteur, les efforts des furies, les coups redoublés de pinceau, toutes les circonstances animées, en un mot, d’une

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