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pareil plan, & en devenoit un accessoire nécessaire.

Les chœurs dont les Grecs n’avoient fait qu’un trop foible usage, & dont les Italiens, ainsi que je l’ai déjà dit, n’ont pas sçu se servir, placés par Quinault dans les lieux où ils devoient être, lui procuroient des occasions fréquentes de grand spectacle, des mouvements généraux, des concerts ravissans, des coups de théâtre frappans, & quelquefois le pathétique le plus sublime.

En liant à l’action principale la danse, qu’il connoissoit bien mieux qu’elle n’a été encore connue, il se ménageoit un nouveau genre d’action théâtrale, qui pouvoit donner un feu plus vif à l’ensemble de sa composition, des fêtes aussi aimables que galantes, & des tableaux variés à l’infini, des usages, des mœurs, des fêtes des anciens.

Ce grand dessein fut balancé sans doute dans l’esprit de Quinault par quelques difficultés. Le moyen qu’il ne prévit pas qu’il se trouveroit tôt ou tard des hommes rigides qui refuseroient de se prêter aux suppositions de la fable, des philosophes sévères dont la raison seroit rebutée des prestiges de la magie, des esprits forts pour qui la plus belle machine ne seroit qu’un jeu d’enfant !

Mais Homere & Virgile, Sophocle & Euripide, parurent à Quinault des autorités suffisantes en faveur du genre qu’il projettoit de mettre sur la scène. Il espéra que le systême ancien, qui fut la base de leurs ouvrages, & qui fera toujours l’ame de la belle poésie, seroit souffert encore par des spectateurs instruits, & sur un théâtre qu’il vouloit conserver à la plus délicieuse illusion. Il vit dans Arioste & le Tasse les effets agréables, les grands mouvements, les changements imprévus que pouvoient produire la magie ; & les grands ballets qui étoient depuis si longtemps le spectacle à la mode, lui fournissoient trop de preuves journalières, pour qu’il négligeât les avantages que la méchanique pouvoit procurer à son établissement.

Les beaux traits d’histoire ne font pas les seuls qui doivent exercer le génie des grands peintres. La fable ne leur en fournit-elle pas qui ne sont ni moins nobles ni moins touchans ? Ecouteroit-on la critique d’un homme de mauvais goût qui déclameroit contre une composition de cette espèce, parce que nous sçavons tous que la fable n’est qu’une des folies de l’esprit des premiers temps ?

Le théâtre n’est qu’un tableau vivant des passions. Quinault en voyoit un digne de l’admiration de touts les siècles, où elles pouvoient être peintes avec le pinceau le plus vigoureux, & qui s’étoit emparé avec raison de l’histoire. Il falloit ne point empiéter sur un établissement aussi imposant, & donner cependant à celui qu’il se proposoit, le caractère d’imitation que doit avoir toute composition dramatique. Le merveilleux, qui résulte du systême poétique, remplissoit son objet, parce qu’il réunit, avec la vraisemblance suffisante au théâtre, la poésie, la peinture, la musique, la danse, la méchanique, & que de touts ces arts combinés il pouvoit résulter un ensemble ravissant, qui arrachât l’homme à lui-même, pour le transporter pendant le cours d’une représentation animée, dans des régions enchantées.

Ce beau dessein n’est point une vaine conjecture imaginée après coup pour séduire le lecteur. Qu’on suive pas à pas la marche de Thesée, d’Atys, d’Armide, &c., on verra l’intention de Quinault telle qu’on vient de l’expliquer, marquée par-tout avec les traits distinctifs de l’esprit, du sentiment & du génie.

Ici on s’arrêtera sans doute pour chercher la cause secrette du peu d’effet qui résulte cependant de nos jours d’un plan ; lui-même servit-il dans l’exécution primitive ? n’est-il que dans l’exécution actuelle ?

Il est certain que le dessein de Quinault est un effort de génie qu’on peut mettre à côté de tout ce qui a été imaginé de plus ingénieux pendant le cours successif des progrès des beaux arts ; mais il n’est pas moins certain que le plaisir, l’émotion, l’amusement qui en résultent sont très-inférieurs aux charmes qu’on devroit & qu’on peut en attendre.

Défauts de l’exécution du plan primitif de l’opéra françois.

C’est un spectacle de chant & de danse que Quinault a voulu faire, c’est-à-dire, que sur le théâtre nouveau qu’il fondoit, il a voulu parler à l’oreille par les sons suivis & modulés de la voix, & aux yeux par les pas, les gestes, les mouvements mesurés de la danse.

Tout ce qui se fait sur le théâtre doit être plein de vie. Rien n’y doit paroître dans l’inaction. Un ouvrage dramatique n’est qu’une grande action, formée de mille autres qui lui sont subordonnées, qui en sont les parties essentielles, qui doivent concourir à l’harmonie générale, & dont le concert mutuel peut seul former la beauté, l’illusion, le charme de l’ensemble.

Il étoit donc nécessaire, pour remplir l’objet de Quinault, que la danse, qui alloit former une partie considérable de son nouveau spectacle, agît conformément à son dessein ; & quel étoit son dessein ? C’étoit ( n’en doutons point ) de s’aider de la danse pour faire marcher son action, pour l’animer, pour l’embellir, pour la conduire par des progrès successifs jusqu’à son parfait développement. En admettant sur son théâtre le même art dont les Grecs & les Romains s’étoient si heureusement servis, n’auroit-il eu pour objet que de réduire son emploi à quelques froids agréments plus nuisibles qu’utiles au cours de l’action théâtrale ?

Seroit-il possible qu’il eût fait entrer la danse dans sa composition comme une partie principale, si elle n’avoir dû toujours agir, peindre, conserver en un mot le caractère d’imitation & de représentation que doit avoir nécessairement tout ce qu’on introduit sur la scène.

Il est indispensable de revenir ici sur ses pas