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beau langage, & qu’il ne suffit pas d’en connoître l’alphabet. Qu’un homme de génie arrange les lettres, forme & lie les mots ; elle cessera d’être muette, elle parlera avec autant de force que d’énergie ; & les ballets alors partageront avec les meilleures pièces du théâtre, la gloire de toucher, d’attendrir, de faire couler des larmes, d’amuser, de séduire, & de plaire dans les genres moins sérieux. La danse embellie par le sentiment & conduite par le talent, recevra enfin avec les éloges, les applaudissemems que toute l’Europe accorde à la poésie & à la peinture, les récompenses glorieuses dont on les honore.

Du genre propre au ballet.

Si les grandes passions conviennent à la tragédie, elles ne sont pas moins nécessaires au genre pantomime. Notre art est assujetti, en quelque façon, aux régies de la perspective ; les petits détails se perdent dans l’éloignement. Il faut, dans les tableaux de la danse, des traits marqués, de grandes parties, des caractères vigoureux, des masses hardies, des oppositions & des contrastes aussi frappants, qu’artistement ménagés.

Il est bien singulier, que l’on ait comme ignoré jusqu’à présent, que le genre le plus propre aux expressions de la danse, est le genre tragique ; il fournit de grands tableaux, des situations nobles & des coups de théâtre heureux : d’ailleurs les passions étant plus fortes & plus décidées dans les héros que dans les hommes ordinaires, l’imitation en devient plus facile, & l’action de la pantomime plus chaude, plus vraie & plus intelligible.

Un habile maître doit pressentir d’un coup-d’œil l’effet général de toute la machine & ne jamais sacrifier le tout à la partie.

Sans oublier les principaux personnages de la représentation, il doit penser au plus grand nombre ; fixe-t-il toute son attention sur les premiers danseurs & les premières danseuses ; l’action devient froide, la marche des scènes se rallentit, & l’exécution est sans effet.

Les principaux personnages de la tragédie de Mérope, sont Mérope, Polifonte, Egiste, Narbas ; mais quoique les autres acteurs ne soient point chargés de rôles aussi importans, ils ne conclurent pas moins à l’action générale & à la marche du drame, qui seroit coupée & suspendue, si l’un de ces personnages manquoit à la représentation de cette pièce.

Il ne faut point d’inutilité au théâtre ; conséquemment on doit bannir de la scène ce qui peut y jetter du froid, & n’y introduire que le nombre exact de personnages nécessaires à l’exécution du drame.

Un ballet en action doit être une pièce de ce genre ; il doit être divisé par scènes & par actes ; chaque scène en particulier doit avoir, ainsi que l’acte, un commencement, un milieu & une fin ; c’est-à-dire, son exposition, son nœud & son dénouement.

J’ai dit que les principaux personnages d’un ballet ne devoient pas faire oublier les subalternes ; je pense même qu’il est moins difficile de faire jouer des rôles transcendants à Hercule & Omphale, à Ariane & Bacchus, à Ajax & Ulysse, &c. qu’à vingt-quatre personnes qui seront de leur suite. S’ils ne disent rien sur la scène, ils y sont de trop & doivent en être bannis ; s’ils y parlent, il faut que leur conversation soit toujours analogue à celle des premiers acteurs.

L’embarras n’est donc pas de donner un caractère dominant & distinctif à Ajax & Ulysse, puisqu’ils l’ont naturellement & qu’ils sont les héros de la scène. La difficulté consiste à y introduire les figurants avec décence ; à leur donner des rôles plus ou moins forts ; à les associer aux actions de nos deux héros ; à placer adroitement des femmes dans ce ballet ; à faire partager à quelqu’une d’elles la situation d’Ajax ; à faire pencher enfin le plus grand nombre en faveur d’Ulysse. Le triomphe de celui-ci & la mort de son rival, présentent à l’artiste une foule de tableaux plus piquants, plus pittoresques les uns que les autres, & dont les contrastes & le coloris doivent produire les plus vives sensations. Il est aisé de concevoir, d’après mes idées, que le ballet-pantomime doit toujours être en action, & que les figurants ne doivent prendre la place de l’acteur qui quitte la scène, que pour la remplir à leur tour, non pas simplement par des figures symmétriques & des pas compassés, mais par une expression vive & animée, qui tienne le spectateur toujours attentif au sujet que les acteurs précédents lui ont exposé.

Mais par un malheureux effet de l’habitude ou de l’ignorance, il est peu de ballets raisonnés ; on danse pour danser ; on s’imagine que le tout consiste dans l’action des jambes, dans les sauts élevés, & qu’on a rempli l’idée que les gens de goût se forment d’un ballet, lorsqu’on le charge d’exécutants qui n’exécutent rien ; qui se mêlent, qui se heurtent, qui n’offrent que des tableaux froids & confus, dessinés sans goût, grouppés sans grace, privés de toute harmonie & de cette expression, fille du sentiment, qui seule peut embellir l’art, en lui donnant la vie.

Il faut convenir néanmoins, que l’on rencontre quelquefois dans ces sortes de compositions, des beautés de détail & quelques étincelles de génie, mais il en est très peu qui forment un tout & un ensemble. Le tableau péchera ou par la composition, ou par le coloris ; ou s’il est dessiné correctement, il n’en sera peut-être pas moins sans goût, sans grâce & sans imagination.

Ne concluez pas, de ce que j’ai dit plus haut sur les figurants & sur les figurantes, qu’ils doivent jouer des rôles aussi marqués que les premiers sujets ; mais comme l’action d’un ballet est tiède, si elle n’est générale, je soutiens qu’il faut qu’ils y participent avec autant d’art que de ménagement ; car il est important que les sujets chargés des principaux rôles, conservent de la force & de la supériorité sur les objets qui les environnent. L’art du compositeur est donc de rapprocher & de réunir toutes ses idées en un seul point, afin que les opérations