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toujours ceux qui lui coûtent le moins à composer ; il suit à cet égard les vieux modèles ; ses prédécesseurs sont ses guides ; il ne fait aucun effort pour répandre de la variété dans ces sortes de morceaux, & pour leur donner un caractère neuf ; ce chant monotone dont il devroit se défaire, qui assoupit la danse & qui endort le spectateur, est celui qui le séduit, parce qu’il lui coûte moins de peine à saisir, & que l’imitation servile des airs anciens n’exige ni un goût, ni un talent, ni un génie supérieur.

Le peintre-décorateur, faute de connoître parfaitement le drame, donne souvent dans l’erreur ; il ne consulte point l’auteur, mais il suit ses idées, qui, souvent fausses, s’opposent à la vraisemblance qui doit se trouver dans les décorations, à l’effet d’indiquer le lieu de la scène. Comment peut-il réussir, s’il ignore l’endroit où elle doit se passer ? Ce n’est cependant que d’après la connoissance exacte de l’action & des lieux qu’il devroit agir ; sans cela, plus de vérité, plus de costume, plus de pittoresque.

Chaque peuple a des loix, des coutumes, des usages, des modes & des cérémonies opposées ; chaque nation diffère dans ses goûts, dans son architecture, dans sa manière de cultiver les arts ; celui d’un habile peintre est donc de saisir cette variété ; son pinceau doit être fidèle : s’il n’est de touts les pays, il cesse d’être vrai & n’est plus en droit de plaire.

Le dessinateur pour les habits ne consulte perfonne ; il sacrifie souvent le costume d’un peuple ancien à la mode du jour, ou au caprice d’une danseuse ou d’une chanteuse en réputation.

Le maître de ballets n’est instruit de rien : on le charge d’une partition ; il compose les danses sur la musique qui lui est présentée ; il distribue les pas particuliers, & l’habillement donne ensuite un nom & un caractère à la danse.

Le machiniste est chargé du soin de présenter les tableaux du peintre dans le point de perspective & dans les différens jours qui leur conviennent ; son premier soin est de ranger les morceaux de décoration avec tant de justesse, qu’ils n’en forment qu’un seul bien entendu & bien d’accord ; son talent consiste à les présenter avec vîtesse & à les dérober avec promptitude. S’il n’a pas l’art de distribuer les lumières à propos, il affoiblit l’ouvrage du peintre & il détruit l’effet de la décoration. Telle partie du tableau qui doit être éclairée, devient noire & obscure ; telle autre qui demande à être privée de lumière, se trouve claire & brillante. Ce n’est pas la grande quantité de lampions jettés au hasard ou arrangés symmétriquement qui éclaire bien un théâtre, & qui fait valoir la scène ; le talent consiste à savoir distribuer les lumières par parties ou par masses inégales, afin de forcer les endroits qui demandent un grand jour, de ménager ceux qui en sont moins susceptibles. Le peintre étant obligé de mettre des nuances & des dégradations dans ces tableaux, pour que la perspective s’y rencontre, celui qui doit l’éclairer devroit, ce me semble, le consulter, afin d’observer les mêmes nuances & les mêmes dégradations dans les lumières. Rien ne seroit plus mauvais qu’une décoration peinte dans le même ton de couleur & dans les mêmes nuances ; il n’y auroit ni lointain ni perspective ; de même, si les morceaux de peinture divisés pour former un tout, sont éclairés avec la même force, il n’y aura plus d’entente, plus de masses, plus d’opposition, & le tableau sera sans effet.

Qu’il me foit permis de faire une digression ; quoique étrangère à mon art, elle pourra peut-être devenir utile à l’opéra.

La danse avertit en quelque façon le machiniste de se tenir prêt au changement de décorations ; vous savez en effet que le divertissement terminé, les lieux changent. Comment remplit-on ordinairement l’intervalle des actes, intervalle absolument nécessaire à la manœuvre du théâtre, au repos des acteurs, & au changement d’habits de la danse & des chœurs ? Que fait l’orchestre ? il détruit les idées que la scène vient d’imprimer dans mon ame ; il joue un passe-pied ; il reprend un rigaudon ou un tambourin fort gai, lorsque je suis vivement ému & fortement attendri par l’action sérieuse qui vient de se passer, il suspend le charme d’un moment délicieux ; il efface de mon cœur les images qui l’intéressoient ; il étouffe & amortit le sentiment dans lequel il se plaisoit ; ce n’est pas tout encore, & vous allez voir le comble de l’inintelligence : cette action touchante n’a été qu’ébauchée ; l’acte suivant doit la terminer & me porter les derniers coups ; or, de cette musique gaie & triviale, on passe subitement à une ritournelle triste & lugubre ; quel contraste choquant ! s’il permet encore à l’acteur de me ramener à l’intérêt qu’il m’a fait perdre, ce ne sera qu’à pas lents ; mon cœur flottera longtemps entre la distraction qu’il vient d’éprouver & la douleur à laquelle on tente de le rappeler ; le piège que la fiction me présente une seconde fois me paroit trop grossier ; je cherche à l’éviter & à m’en défendre machinalement & malgré moi, & il faut alors que l’art fasse des efforts inouis pour m’en imposer & pour me faire succomber de nouveau. Vous conviendrez que cette vieille méthode, si chère encore à nos musiciens, blesse toute vraisemblance. Ils ne doivent pas se flatter de triompher de moi au point d’exciter à leur gré & subitement dans mon ame, touts ces ébranlements divers. Le premier instant me disposoit à céder à l’impression qui devoir résulter des objets qui m’étoient offerts ; le second détruit totalement ce premier effet, & la nouvelle sensation qu’il produit sur moi est si différente & si distante de celle à laquelle je m’étois d’abord livré, que je ne saurois y revenir sans une peine extrême ; sur-tout lorsque mes fibres ont naturellement plus de propension & plus de tendance à se déployer