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avoit étudié toutes les parties de son art, & cherché à les rapprocher de la perfection. La raison, l’esprit, le bon sens & la nature l’ont guidée dans cette réforme : elle a consulté les anciens, & elle s’est imaginé que Medée, Electre & Ariane n’avoient point l’air, le ton, l’allure & l’habillement de nos petites maîtresses ; elle a senti qu’en s’éloignant de nos usages, elle se rapprocheroit de ceux de l’antiquité ; que l’imitation des personnages qu’elle représente seroit plus vraie, plus naturelle ; que son action d’ailleurs étant vive & animée, elle la rendroit avec plus de feu & de vivacité, lorsqu’elle se feroit débarrassée du poids & dégagée de la gêne d’un vêtement ridicule ; elle s’est persuadée enfin que le public ne mesureroit pas ses talents sur l’immensité de son panier. Il est certain qu’il n’appartient qu’au mérite supérieur d’innover & de changer en un instant la forme des choses auxquelles l’habitude bien moins que le goût & la réflexion nous avoienr attachés.

M. Chassé, acteur unique, qui avoit l’art de mettre de l’intérêt dans des scènes froides, & d’exprimer par le geste les pensées les moins frappantes, secoua pareillement les tonnelets ou ces paniers roides, & qui en faisoient, pour ainsi dire, une machine mal organisée ; les casques & les habits symmétriques furent aussi proscrits par lui : il substitua aux tonnelets guindés des draperies bien entendues, & aux panaches antiques des plumes distribuées avec goût & élégance. Le simple, le galant & le pittoresque composoient sa parure.

M. le Kain, excellent tragique, suivit l’exemple de M. Chassé ; il fit plus encore ; il sortit du tombeau de Ninus dans la Sémiramis de M. de Voltaire, les manches retroussées, les bras ensanglantés, les cheveux hérissés & les yeux égarés. Cette peinture forte, mais naturelle, frappa, intéressa, jetta le trouble & l’horreur dans l’ame du spectateur. La réflexion & l’esprit de critique succédèrent un instant après à l’émotion, mais il étoit trop tard ; l’impression étoit faite, !e trait étoit lancé, l’acteur avoit touché le but, & les applaudissemens furent la récompense d’une action heureuse, mais hardie, qui, sans doute, auroit échoué, si un acteur subalterne & moins accueilli eût tenté de l’entreprendre.

M. Boquet, chargé des desseins & du costume des habits de l’opéra, a remédié en partie aux défauts qui règnent dans cette partie si essentielle à l’illusion. Il est à desirer qu’on lui laisse la liberté d’agir, & qu’on ne s’oppose point à des idées qui tendront toujours à porter les choses à leur perfection.

Quant aux décorations, je ne veux point en parler. Elles ne pèchent pas par le goût à l’opéra ; elles pourroient même être belles, parce que les artistes qui sont employés dans cette partie, ont réellement du mérite ; mais la cabale & une économie mal entendue bornent le génie des peintres & étouffent leurs talents. D’ailleurs, ce qui paroît en ce genre à l’opéra, ne porte jamais le nom de l’auteur. Au moyen de cet arrangement, il y a fort peu d’émulation, & par conséquent fort peu de décorations qui ne laissent une infinité de choses à desirer.

Je finirai par une réflexion qui me paroît bien simple. La danse à ce spectacle a trop de caractères idéaux, trop de personnages chimériques & trop d’êtres fantastiques à rendre, pour qu’elle puisse les représenter tous avec des traits & des couleurs différentes ; moins de furies, moins de merveilleux, plus de vérité, plus de naturel, & la danse paroîtra dans un plus beau jour. Je serois fort embarrassé, par exemple, de donner de l’intention à la danse d’une comète, à celle des signes du Zodiaque, des heures, &c. Les interprètes de Sophocle, d’Œuripide & d’Aristophane disent cependant que les danses des Egyptiens représentoient les mouvements célestes & l’harmonie de l’univers ; ils dansoient en rond autour d’un autel qu’ils regardoient comme le soleil ; & cette figure qu’ils décrivoient en se tenant par les mains, désignoit le Zodiaque ou le cercle des signes ; mais tout cela n’étoit, ainsi que bien d’autres choses, que des figures & des mouvements de convention auxquels on attachoit une signification invariable. Je crois donc qu’il nous seroit plus facile de peindre nos semblables ; que l’imitation en seroit plus naturelle & plus seduisante, mais c’est aux poëtes, comme je l’ai dit, à chercher les moyens de faire paroître des hommes sur le théâtre de l’opéra. Où en seroit l’impossibilité ? ce qui s’est fait une fois peut se répéter mille autres avec succès. Il est sûr que les pleurs d’Andromaque, que l’amour de Junie & de Britannicus, que la tendresse de Mérope pour Egiste, que la soumission d’Iphigénie & l’amour maternel de Clytemnestre toucheront bien davantage que toute notre magie d’opéra. La Barbe-Bleue & le petit Poucet n’attendrissent que les enfans ; les tableaux de l’humanité sont les seuls qui parlent hautement à l’ame, qui l’affectent, qui l’ébranlent & qui la transportent. On s’intéresse foiblement aux divinités fabuleuses, parce qu’on est persuadé que leur puissance & toute intelligence qu’elles montrent, leur sont prêtées par le poëte ; on est mutuellement inquiet sur la réussite ; on fait qu’ils viendront à bout de leur dessein, & leur pouvoir diminue en quelque sorte, à mesure que notre confiance augmente. Le cœur & l’esprit ne sont jamais la dupe de ce spectacle ; il est rare, pour ne pas dire impossible, que l’on sorte de l’opéra avec ce trouble, cette émotion & ce désordre enchanteur que l’on éprouve à une tragédie ou à une comédie touchante ; la situation où elle nous jette nous suivroit longtemps, si les images gaies de nos petites pièces ne calmoient notre sensibilité & n’essuyoient nos larmes.

Description de quelques ballets de M. Noverre faite par lui-même.

On ne peut ni juger d’un cabinet de peinture par