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Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/376

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pendant ce pas plein d’expression, les plaisirs & les jeux entraînent les Nymphes dans la forêt. Les Faunes les suivent avec empressement ; & pour sauver les bienséances, & ne pas rendre trop sensibles les remarques que l’Amour fait faire à sa mère sur cette disparition, je fais rentrer un instant après ces mêmes Nymphes & ces mêmes Faunes. L’expression de ceux-ci, l’air satisfait de celles-là peignent avec des couleurs ménagées dans un passage bien exprimé de la chaconne, les tableaux de la volupté coloriés par le sentiment & la décence.

Ce ballet est d’une action chaude & toujours générale. Il a fait, & je puis m’en glorifier, une sensation que la danse n’avoit pas produite jusqu’alors. Ce succès m’a engagé à abandonner le genre auquel je m’étois attaché, moins, je l’avoue, par goût & par connoissance, que par habitude. Je me suis livré dès cet instant à la danse expressive & en action ; je me suis attaché à peindre dans une manière plus grande & moins léchée ; & j’ai senti que je m’étois trompé grossièrement, en imaginant que la danse n’étoit faite que pour les yeux, & que cet organe étoit la barrière ou se bornoient sa puissance & son étendue. Persuadé qu’elle peut aller plus loin, qu’elle a des droits incontestables sur le cœur & sur l’ame, je m’efforcerai désormais de la faire jouir de touts ses avantages.

Les Faunes étoient sans tonnelets, & les Nymphes, Vénus & les Graces sans paniers : j’avois proscrit les masques qui se seroient opposés à toute expression. La méthode de M. Garrick m’a été d’un grand secours ; on lisoit dans les yeux & sur la physionomie de mes Faunes, touts les mouvements des passions qui les agitoient. Une laçure & une espèce de chaussure imitant de l’écorce d’arbre, m’avoient semblé préférables à des escarpins ; point de bas ni de gants blancs, j’en avois assorti la couleur à la teinte de la carnation de ces habitants des forêts ; une simple draperie de peau de tigre couvroit une partie de leur corps, tout le reste paroissoit nu ; & pour que le costume n’eût pas un air trop dur, & ne contrastât pas trop avec l’habillement élégant des Nymphes, j’avois fait jetter sur les draperies une guirlande de feuillage mêlée de fleurs.

J’avois encore imaginé des silences dans la musique, & ces silences produisoient l’effet le plus flatteur ; l’oreille du spectateur cessant tout d’un coup d’être frappée par l’harmonie, son œil embrassoit avec plus d’attention touts les détails des tableaux, la position & le dessein des grouppes, l’expression des têtes & les différentes parties de l’ensemble ; rien n’échappoit à ses regards. Cette suspension dans la musique & dans les mouvemens du corps répand un calme & un beau jour ; elle fait sortir avec plus de feu les morceaux qui la suivent ; ce sont des ombres qui, ménagées avec art & distribuées avec goût, donnent un nouveau prix & une valeur réelle à toutes les parties de la composition ; mais le talent consiste à les employer avec économie. Elles deviendroient aussi funestes à la danse qu’elles le sont quelquefois à la peinture lorsqu’on en abuse.

Passons aux fêtes ou aux jalousies du serrail. Ce ballet & celui dont je viens de parler, ont partagé le goût du public ; ils sont néanmoins dans un genre absolument opposé, & ne peuvent être mis en comparaison l’un & l’autre.

Le théâtre représente une des parties du serrail ; un péristyle orné de cascades & de jets d’eau, forme l’avant-scène. Le fond du théâtre offre une colonnade circulaire en charmille ; & les intervalles de cette fleur enrichis de grouppes & de jets d’eau. Le morceau le plus éloigné qui termine la décoration, présente une cascade de plusieurs nappes, qui se perd dans un bassin, & qui laisse découvrir derrière elle un paysage & un lointain. Les femmes du serrail sont placées sur de riches sophas & sur des carreaux ; elles s’occupent à differens ouvrages en usage chez les Turcs.

Des Eunuques blancs & des Eunuques noirs superbement habillés, paroissent & présentent aux Sultanes le sorbet, le café ; d’autres s’empressent de leur offrir des fleurs, des fruits & des parfums. Une d’entre elles, plus occupée d’elle-même que ses compagnes, refuse tout pour avoir un miroir ; un esclave lui en présente un. Elle se mire, elle s’examine avec complaisance ; elle arrange ses gestes, ses attitudes & sa démarche. Ses compagnes, jalouses de ses grâces, cherchent à imiter touts ses mouvements, & delà naissent plusieurs entrées, tant générales que particulières, qui ne peignent que la volupté &, le desir ardent que toutes ont également de plaire à leur maître.

Aux charmes d’une musique tendre & du murmure des eaux, succède un air fier & marqué, dansé par des muets, par des Eunuques noirs & des Eunuques blancs qui annoncent l’arrivée du Grand Seigneur.

Il entre avec précipitation, suivi de l’Aga, d’une foule de Janissaires, de plusieurs Bostangis & de quatre Nains. Dans cet instant les Eunuques & les Muets tombent à genoux ; toutes les femmes s’inclinent, & les Nains lui offrent dans des corbeilles des fleurs & des fruits. Il choisit un bouquet, & il ordonne par un seul geste à touts les esclaves de disparoître.

Le Grand-Seigneur seul au milieu de ses femmes, semble indéterminé sur le choix qu’il doit faire ; il se promène autour d’elles avec cet air indécis que donne la multiplicité des objets aimables. Toutes ces femmes s’efforcent de captiver son cœur, mais Zaïre & Zaïde semblent devoir obtenir la préférence. Il présente le bouquet à Zaïde, & dans l’instant qu’elle l’accepte, un regard de Zaïre suspend son choix : il l’examine, il promène de nouveau ses regards, il revient ensuite à Zaïde ; mais un sourire enchanteur de Zaïre le décide entièrement. Il lui donne le bouquet ; elle l’accepte avec transport. Les autres Sultanes peignent par leurs atti-