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tasser celles qui restent sur la claie, à portée de l’ouverture & qu’on fait descendre au besoin.

Pour battre les châtaignes, on les enferme dans un sac d’une bonne toile grise, qui doit avoir un peu moins d’une aune de longueur, sur un tiers à peu près de largeur : il est ouvert par les deux bouts. Ce travail occupe deux hommes ; celui qui est du côté du tas y puise avec une corbeille alongée & retrécie par un bout, environ douze à quinze livres de châtaignes ; son aide, qui tient le sac par les deux bouts, lui en présente un ouver par où le premier introduit le côté alongé de la corbeille, & y verse les châtaignes. Ensuite ils prennent chacun un des bouts du sac, & ils frappent plusieurs coups sur le banc. Le nombre de coups dépend de l’état de dessiccation des châtaignes, ainsi que de leur grosseur. On détermine le nombre de ces coups, necessaires pour briser l’écorce extérieure & détacher la pellicule intérieure des châtaignes, en regardant après en avoir frappé plusieurs, si elles sont dépouillées ; & l’épreuve du premier sac faite, on se fixe au nombre qu’on a déterminé, & qui sert de règle pour toute l’opération, à moins qu’on ne s’apperçoive par la suite que les châtaignes ont besoin d’un plus grand nombre de coups.

Lorsque les châtaignes sont suffisamment battues, les ouvriers secouent le sac fortement en l’agitant horizontalement ; ce mouvement achève de détacher les écorces brisées par le battage : ensuite l’ouvrier qui est du côté opposé à celui du tas, se détourne un peu sans se déplacer, vide le sac à quelque distance derrière lui, tandis que l’autre puise d’autres châtaignes pour en remplir le sac ; ces opérations s’exécutent par un mouvement continuel, & qui n’est interrompu que pour les repas.

D’autres ouvriers sont préposés pour vanner & cribler les châtaignes battues ; par cette opération, ils séparent celles qui sont entièrement dépouillées de leur peau, d’avec celles qui en conservent encore des parties adhérentes : on forme des tas de ces dernières, pour être remises dans le sac & battues de nouveau. On trie les autres en mettant à part celles qui sont entières & marchandes ; on réserve au contraire celles qui sont brisées, soit qu’elles soient entièrement dégagées de leurs peaux, soit qu’elles soient encore adhérentes à des portions de l’écorce, & on les destine à la nourriture des bestiaux & des volailles. Enfin, on ramasse bien soigneusement les débris des grosses écorces & de la pellicule, & on les porte dans un endroit sec ; c’est avec ces écorces & ces pellicules qu’on fait l’année suivante ce feu doux qui sert à faire suer les châtaignes, comme nous l’avons dit ci-dessus.

Avant de faire usage du sac pour y renfermer les châtaignes qu’on doit y battre, il est à propos de le tremper dans de l’eau où l’on a fait bouillir du son, & on l’y retrempe de temps en temps ; par-là on donne plus de souplesse à la toile, qui est moins sujette à se déchirer.

Je dois parler d’une autre manière de battre les châtaignes au sortir du séchoir, & qu’on met en pratique lorsqu’on ne peut employer à cette opération qu’une seule personne. On a un sac de toile ou une poche de forme conique ; l’ouverture du sac est à la pointe du cône : il contient environ un boisseau de châtaignes qu’on y introduit par cette ouverture : on prend le sac par la pointe ; on frappe de droite & de gauche contre une poutre de bois, & on réitère les coups jusqu’à ce que l’écorce & la pellicule aient été brisées & se soient détachées de la substance solide & farineuse des châtaignes.

Art. IV. Avantages de la méthode précédente ; & inconvéniens d’une autre méthode imparfaite.

En suivant exactement la méthode que nous venons d’exposer, on parvient à conserver les châtaignes sèches, non-seulement tout l’hiver & d’une année à l’autre, mais même plusieurs années, sans qu’elles s’altèrent ou qu’elles perdent même de leur bonté. La substance farineuse des châtaignes dans l’état de dessiccation qu’on lui a communiquée par les procédés que nous avons décrits, conserve constamment une couleur jaunâtre & une fermeté inaltérable, & acquiert par la cuisson un goût sucré & aussi agréable que celui qu’elle a quand on la mange fraîche. On peut même manger crues les châtaignes séchées par cette méthode, pourvu qu’on les laisse s’amollir dans la bouche, en les pressant seulement sous la dent sans faire effort pour les mâcher, & on leur trouve à peu près les mêmes qualités qu’à celles qui sont cuites.

À ces avantages, opposons maintenant les inconvéniens que l’on éprouve dans quelques provinces où l’on néglige certains procédés de cette méthode. J’ai remarqué, par exemple, assez constamment, que par-tout où l’on n’avoit pas l’attention, 1o. de faire suer d’abord les châtaignes & de graduer ensuite le feu ; 2o. de dépouiller les châtaignes de leurs écorces & de leurs pellicules aussitôt qu’elles sont sorties du séchoir, elles étoient sujettes à se gâter & à se corrompre assez promptement ; car, lorsqu’on les gardoit dans leur écorce ainsi séchées sans aucun soin, elles acquéroient une couleur noirâtre, devenoient mollasses & ridées après leur çuisson, & enfin avoient un goût de fumée & d’empyxeume très-marqué.

Il est facile de montrer les raisons de ces différens états où se trouvent les châtaignes, suivant qu’on a été exact à suivre la méthode décrite, ou qu’on a négligé la pratique des manipulations dont j’ai fait mention.

Par l’attention qu’on a de faire suer les châtaignes dans les premiers temps de l’opération du séchage, & de continuer cette opération on graduant le feu, l’eau surabondante de la végétation se raréfie, transpire aisément à travers les pores de l’écorce, & vient se reposer à sa surface extérieure. Ce même jeu se continue ensuite par un feu gradué jusqu’à ce qu’une grande partie de l’eau qui entre dans la composition des principes de la châtaigne soit évaporée, & que ces principes soient suffisamment rapprochés.