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plus réellement ces qualités, que les petites pratiques de dévotion ne font les hommes vraiment religieux.

Pour connoître l’Art du Dessin & de la Peinture, il est bon cependant d’avoir essayé de dessiner & de peindre, comme pour apprécier plus justement le mérite de la Poësie, il est bon de s’être exercé à faire des vers ; mais les connoissances qu’on acquiert par cette voie, n’instruisent le plus souvent que d’une sorte de méchanisme, plus essentiel, il est vrai, dans la Peinture que dans la Poësie, parce que le méchanisme occupe beaucoup plus de place dans la constitution du premier de ces Arts, que dans celle du second.

Mais soyez convaincus qu’on n’est n’a pas fort avancé dans la Peinture pour y avoir fait les premiers pas, c’est-à-dire, pour avoir tenté de peindre quelques essais sous les yeux & avec le secours d’un Artiste. Je m’en rapporte sur cet objet à votre seule conscience, car la petite improbité de l’état où je vous envisage, consiste le plus souvent à vous applaudir d’un succès qui vous appartient bien rarement tout entier.

Ce que vous devez regarder comme plus essentiel, c’est de vous instruire sans faste par la lecture bien méditée des bons auteurs qui ont écrit sur la Peinture, surtout de ceux de ces auteurs qui étoient Artistes, tels que Dufresnoy, de Piles, Coypel, Poussin & plus anciennement encore Vazari, Lomozzo, Léonard de Vinci.

Si vous desirez poursuivre cette route, ajoutez à ces premières études un cours d’observations raisonnées, soit d’après les idées dont vous vous serez nourris par la lecture, soit par des conférences avec quelques Artistes habiles dans la théorie & doués du talent de rendre clairement leurs conceptions. Ce cours ne peut se faire qu’en voyant & revoyant plusieurs fois les collections qui rassemblent les ouvrages capitaux des grands Maîtres. Arrêtez-vous sur les Écoles célèbres, premièrement sans les mêler, ensuite en les comparant. Appliquez l’examen des plus beaux tableaux tour-à-tour aux principales parties de l’Art ; réservez pour les derniers objets d’instruction ce qu’on place le plus souvent mal-à-propos à la tête, je veux dire, l’aptitude à distinguer les Maîtres, par certains signes que reconnoitront toujours supérieurement à vous ceux qui trafiquent de Peinture : apprenez enfin la différence de mérite qu’ont les grands genres, soutiens honorables de l’Art, sur ceux qui, tout estimables qu’ils sont, n’autoriseroient pas seuls les éloges & les prérogatives qu’on a donnés de tout temps à la Peinture.

Écrivez pour fixer vos idées, mais songez en relisant vos observations, à les examiner & à les discuter aussi sévèrement que vous feriez celles d’un autre.

Si vous reconnoissez enfin que votre penchant n’est qu’un goût passager, une imitation, un desir de prétention mal-fondée, pensez que, tandis que d’après des notions trop légères, vous dissertez en appréciant les tableaux exposés aux yeux du Public, souvent un simple Elève, barbouillé de sanguine, se trouve dans la foule, à vos côtés, qu’il rit de votre confiance, de l’imbécillité de ceux qui vous écoutent, & qu’il griffonne peut-être votre caricature.

Mais pour vous consoler & pour vous guérir plus facilement d’un ridicule auquel vous vous livrez, soyez sûre aussi qu’on peut avoir le jugement qu’exige la Magistrature, la vertu que suppose l’Etat ecclésiastique, le courage d’un brave Chevalier, l’érudition d’un Savant, la justesse d’un Géomètre, les talens d’un Poëte, d’un Orateur ; enfin, cette facilité séduisante & quelquefois trompeuse du Bel-esprit, & n’avoir aucune des dispositions & des connoissances qui doivent constituer l’amateur & le judicieux connoisseur des ouvrages de Peinture.

AME, (subst. fém.) Ce terme de la langue générale est employé dans le langage de l’art au figuré, & d’une maniere qui lui est particuliere, lorsqu’on dit : « Ce Peintre a donné bien de l’ame à ses figures. » Cette façon de parler a une relation sensible avec la partie de l’expression.

Une figure qui a du mouvement ou de l’action peut bien autoriser à dire qu’elle a de l’ame ; mais on doit sentir que c’est principalement à celles qui montrent une grande expression sentimentale que cette maniere de parler est plus justement adaptée.

J’observerai aussi qu’on l’emploie principalement en parlant des figures dont l’expression dérive d’un sentiment louable, & non d’une passion odieuse, sans doute parce que l’ame a des droits plus avoués & plus intéressans, lorsqu’elle se manifeste par des affections qui honorent les êtres doués d’intelligence & de raison, que par celles qui appartiennent aux animaux comme aux hommes. On ne dira pas d’un homme colère, inhumain, barbare, qu’il a de l’ame, qu’il a beaucoup d’ame. Ces expressions se prennent donc en général favorablement. Pour en détourner le sens & le rendre défavorable, il faut y joindre des épithètes. Et lorsque l’on dit : « Quelle ame cet homme a montrée dans telle circonstance ! On a une idée de sensibilité, de genérosité & de vertu, relative à celui dont on parle. » Cet article ne doit pas être fort étendu, parce que le mot expression & les termes qui y ont rapport fournissent plus naturellement les explications que celui-ci pourroit amener. Les manieres d’employer le mot ame, qui sont adoptées à la peinture, se réduisent à peu près à celles-ci : « Cette figure a de l’ame, a bien de l’ame. Quelle ame cet Artiste donne à ses ouvrages ! Cette figure n’a point d’ame. »

Jeunes Artistes, si vous avez de l’ame, vos