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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/184

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ART ART 43


jusqu’à l’excès par quelque réussite. Pour modérer l’amour-propre de ses enfans d’adoption, il saura fixer avec adresse leurs regards sur les chefs-d’œuvre des grands Maîtres ; il relevera le courage abattu, par des critiques justes & encourageantes, sur des ouvrages moins parfaits. Enfin, il préviendra, par des attentions & des soins réfléchis, la nonchalance à laquelle entraînent la température du climat & de légers égaremens qui, trop souvent, en sont la suite ; car il ne faut pas perdre de vue que la jeunesse, sur-tout celle dont les travaux éveillent les sens & animent sans cesse l’imagination, a plus de risques à courir que toute autre, & plus de mérite à les éviter. C’est ainsi que les conseils, la méditation, les études entremêlées donneront à mon jeune novice dans le temps de ses épreuves, les lumières qui doivent l’éclairer sur sa véritable vocation. Mais je l’ai supposé véritablement appellé, & je le vois, par cette raison même, redouter le moment fixé pour son retour. Déjà prévenu de ce terme fatal, il est porté à croire que le Génie cosmopolite de sa nature trouve par-tout une patrie, & que celle d’un Peintre ne doit être que le pays où son talent peut se perfectionner davantage, & se trouver employé à de plus nobles travaux. De nouvelles exclamations expriment ses regrets de quitter la Capitale des Arts. Il desireroit s’y fixer pour toujours ; mais il écoute les conseils, le devoir & la raison. Enfin, l’honneur qu’il va recueillir, & ce qu’il doit à des parens qui attendent cette récompense des sacrifices qu’ils ont faits pour lui le déterminent ; mais ses regrets ne peuvent être adoucis dans sa route que par les projets qu’il fait déjà de revenir au premier moment de liberté, dans ce pays fortuné, où, entouré d’une nature favorable & de tant de chefs-d’œuvre, il ne vivra que pour la Peinture, où, dans un calme, dans une espèce d’isolement si délicieux pour ceux qui s’abandonnent à la passion des Arts, il réparera le temps qu’il croit n’avoir pas assez bien employé. Deux fois dans ma vie témoin de ce bonheur que goûtent à Rome nos jeunes Adeptes, je n’oublierai jamais les momens délicieux que j’ai partagés avec eux.

Mais je retiendrois trop long-temps mes lecteurs qui la plupart ne peuvent avoir le même intérêt que nous à ces détails, & qui ne peuvent s’en faire une juste idée, si je m’arrêtois à toutes les sortes de jouissance qu’a éprouvé mon Artiste à la fleur de son âge & de son talent. Je l’ai préparé, comme on l’a vu, à ne s’abandonner qu’à celles qui ne peuvent endormir ou égarer son talent. Aussi je le ramène dans sa patrie au temps où il peut dignement s’acquitter de la reconnoissance qu’il lui doit & payer son tribut à la gloire nationale.

Qu’il seroit heureux si pour remplir ses justes devoirs & des sentimens si louables, plein de cette ferveur pure qu’on n’a qu’a cet âge, il trou-


voit à son arrivée quelque grand ouvrage à entreprendre ; si déjà connu & apprécié de ses anciens maîtres & de ses supérieurs, par les essais qu’il leur a envoyés & par l’estime qu’on a conçue de lui, il se trouvoit chargé d’orner de peintures une coupole, une galerie, quelque plafond où il s’efforceroit de lutter contre le Dominiquin, le Corrége, le Cortone ; de décorer un temple de justice, un hôtel-de-ville, une suite d’appartemens dans les palais de nos Rois ; c’est alors qu’il défieroit au combat les grands Artistes dont la gloire, toujours presente à sa pensée, le fatigue, comme l’esprit qui s’emparoit des Prophètes pour leur faire prononcer des vérités éloquentes & sublimes. Si ces vœux qu’il forme & que je fais avec lui étoient remplis, si les grandes Municipalités de nos Provinces, si ces ordres Monastiques, autrefois si utiles à la culture des terres & qui pourroient l’être au soutien de nos Arts, lui préparoient de grandes entreprises, qu’avec ardeur on le verroit se refuser aux charmes de la Capitale, s’enfermer dans les cloîtres, s’y choisir pour société, sans, crainte de se faire de rivaux, de nombreux Élèves, qui, graces au caractère & à l’importance des ouvrages, seroient en état de moissonner peut-être plutôt qu’il ne l’a fait, les fruits de l’Italie ! C’est alors que j’espérerois de voir renaître les beaux jours de nos Arts ; car ce sont les grandes entreprises qui sont éclorre les grandes idées, qui obligent l’imagination à s’étendre par l’ascendant même des dimensions physiques, à se multiplier, en faisant agir un grand nombre de coopérateurs, en les approchant de soi pour son propre intérêt, en hâtant leur talent par l’instruction & les exemples. On ne verroit plus aussi souvent l’Artiste s’isoler dans un cabinet retiré, pour s’occuper d’ouvrages qu’il peut exécuter seul.

Combien alors il est éloigné de cette situation heureuse dont j’ai parlé, mais ce malheur ne dépend pas de lui. Le réfroidissement général du goût pour les grands genres & les grands ouvrage, (on ne peut trop le répéter,) est ce qui menace véritablement nos Arts, & ce qui nuit le plus aux succès & au bonheur de nos Artistes.

Si quelques-uns de ces Artistes en doutoient, qu’ils comparent leur vie & leurs petits travaux isolés avec la vie ostensiblement laborieuse & communicative de Raphaël, des Carrache, de Rubens ; qu’on se rappelle ces chefs d’École, sortant de leurs atteliers, entourés & suivis par une foule de disciples, qui participoient à leurs travaux, sans leur en ôter la gloire ; qu’on se représente ces grands dans l’ordre du talent, portant leurs pas avec leur honorable cortége, ou vers les monumens de Rome, ou dans les campagnes, pour y admirer les beautés de l’Art & de la Nature. Reportons ensuite nos yeux sur la plupart de nos Artistes. Voyons-les sortir seuls de leurs atteliers, qu’ils laissent en proie à une


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