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qui different assez dans l’expression, pour qu’on puisse rapporter les unes particulièrement aux sens, les autres au cœur, les autres à l’esprit : d’où l’on est suffisamment autorisé à inférer, non-seulement qu’il est des espèces de beau desirés & reconnus tels par ces diverses facultés ; mais que sans doute le beau reconnu tel par les trois facultés réunies dans leur desir, comme dans leur contentement, (seroit le plus essentiellement beau relativement à l’homme & à la source primitive d’une dénomination qui nous devient si chère, que, par une sorte de besoin de nous en servir, nous en faisons sans cesse des applications, en l’employant partiellement, figurément, par extensions, par emprunt, & en la substituant enfin à plusieurs mots, qui seroient plus propres à exprimer exactement nos idées.

Pour essayer de développer davantage ces premières notions, fixons sur chacune des facultés dont il vient d’être question, quelques succinctes observations relatives au beau.

Une des plus intéressantes à l’égard des sens, c’est que parmi les cinq dont nous sommes doués, deux seulement (la vue & l’ouie) possèdent & exercent le droit de nous faire désigner par le mot beau, les objets qui leur causent une satisfaction particulière. L’odorat, le goût, le toucher, ne suggèrent pas dans leurs plus vives impressions, cette dénomination. Le parfum de la rose ne reçoit pas le titre de beau ; les saveurs ne sont jamais honorées du nom de belles, tandis que les couleurs, les, formes & les sons l’obtiennent. Les élémens que j’ai déjà présentés, offrent une raison fort naturelle de cette différence ; en effet si le beau suppose essentiellement un mélange de satisfaction des différentes facultés, on conviendra que le goût & l’odorat sont bien loin d’avoir avec l’esprit & le cœur d’aussi prochaines & intéressantes affinités que l’ouie & la vue. Mais le toucher ?... J’avoue, à cet égard, que le motif d’exclusion ne me paroît pas aussi fondé ; car pour peu que nous nous observions attentivement, nous distinguerons dans ce sens deux sortes de fonctions, dont l’une que j’appellerai le toucher commun, habituellement machinal, instinctuel, passif, peut être justement dédaigné par le cœur & l’esprit, mais dont l’autre, que je nommerai tact, pour le distinguer, est si clairvoyant, si prompt, si sensible, si intelligent enfin, que souvent l’esprit & le cœur s’identifient, pour ainsi dire avec lui, pour sentir & pour comprendre.

Au reste, pour ne pas nous arrêter à des détails qui, sans être certainement étrangers à notre sujet, pourroient retarder cependant notre marche : examinons si les couleurs, les formes & les sons peuvent recevoir des sens privilégiés, le nom de beau, sans le concours des autres facultés.

L’ingénieux Caflel, fut bien tenté de le croire ; mais le clavecin nuancé, prouva contre son auteur, que chaque couleur en particulier, & par


elle-même, ne seroit pas proclamée belle, si elle ne se présentoit liée avec quelqu’idée, ou quelque sentiment. Lors donc qu’il nous arrive de donner à une forme, à une couleur isolée & à un son même, le nom de beau ; c’est que nous suivons, sans nous en rendre compte & sens nous appercevoir, des liaisons & des affinités d’idées qui ne manquent point d’avoir leur effet au besoin, comme on le voit dans la Chymie, à l’égard des substances qui se composent toutes seules.

Mais où ces liaisons, ces relations pourroient-elles s’être formées, sinon dans ce qui est du domaine de l’esprit ou du cœur, c’est-à-dire, par quelques opérations, dont les organes ne sont pas capables tous seuls, mais que l’esprit & le cœur ne feroient pas non plus sans eux ?

Aussi nos sens avec leurs impressions, notre esprit avec ses perceptions, & notre cœur avec ses affections, forment-ils une communauté de biens (si l’on peut parler ainsi) qui peut s’altérer, mais jamais se rompre entièrement, quelques efforts que ces associés fassent quelquefois chacun de leur côté, pour s’en affranchir ? Il est vrai qu’ils parviennent à s’en arroger de tems en tems des portions plus ou moins exclusives ; mais obligés de se soumettre habituellement à leur destin, ils reviennent bientôt à être tour-à-tour dominans, dominés, cause ou effet.

Quant à ces discours & à ces ouvrages, où si fréquemment nous établissons des lignes de démarcation, positives entre les sens, le cœur & l’esprit ; la raison, lorsqu’on s’en rapporte à elle, & qu’il s’agit de prononcer sérieusement, se garde d’approuver tout ce qu’elle veut bien nous laisser dire, & elle est à cet égard, à peu près, comme les gouvernantes sagement indulgentes, qui, sans tirer à conséquence, laissent en souriant, les enfans se croire, tantôt meres, tantôt filles, tantôt maîtresses & tantôt servantes.

D’après ces mutuels échanges & cette société si bien établie, il devient nécessaire que les objets qui comportent d’être nommés beaux, ayent des qualités propres à produire aussi des mélanges de plaisirs, & que le Peintre observateur apperçoive à leur occasion, sur la physionomie de son modèle, ces satisfactions heureusement dosées, objets desirés de l’amour, que Platon nous dit occupé sans cesse, en ses trois qualités sans doute, d’organique, de sentimental & de spirituel, à les chercher. Aussi supposons que l’esprit du modèle que nous avons le dessein d’observer, s’avise de s’attacher, à l’exclusion du cœur & des sens, à un beau purement intellectuel, & interrogeons alors notre Artiste, il nous dira l’embarras que lui donne une physionomie devenue vague, distraite & toujours d’autant moins significative, que l’esprit sera un plus grand divorce avec ses associés. Il avouera qu’il ne distingue plus sur les traits qu’un certain caractère admiratif qui ne lui offre point du tout l’expression qu’il cherchoit celle que,


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